Lutte contre la pauvreté: L’Économie solidaire et sociale un véritable levier de développement durable (Dossier)

Les membres  de l'Ong "Union africaine" partagent les valeurs de solidarité, d'épargne et d'entraide. (Ph: Dr)
Les membres de l'Ong "Union africaine" partagent les valeurs de solidarité, d'épargne et d'entraide. (Ph: Dr)
Les membres de l'Ong "Union africaine" partagent les valeurs de solidarité, d'épargne et d'entraide. (Ph: Dr)

Lutte contre la pauvreté: L’Économie solidaire et sociale un véritable levier de développement durable (Dossier)

Le 08/02/25 à 17:36
modifié 08/02/25 à 18:09
Dans un élan de solidarité agissante, les Ong, coopératives et associations mutualisent leurs petites économies pour en faire d'importants fonds, pour financer leurs différentes activités commerciales. Pour mieux comprendre le fonctionnement de ce concept dénommé ''Economie sociale et solidaire''(Ess), qui prend de plus en plus forme dans nos sociétés, nous sommes allés à la rencontre des femmes de Koumassi Kankankoura.
L'Economie sociale et solidaire (Ess) qui regroupe des organisations non gouvernementales, des coopératives, des mutuelles et des associations, est en pleine expansion en Côte d’Ivoire, notamment avec un nombre croissant d’organisations et d’initiatives, dans les secteurs de l'agriculture, de l'artisanat et des services sociaux.

Dans la commune de Koumassi, des exemples sont légion. Au Quartier Kankankoura, des femmes et des hommes se sont investis à travers une Organisation dénommée, Ong « Union africaine ».

Cette organisation représentée sur tout le territoire ivoirien, comprend, un millier de femmes et d’hommes, plus de 200 organisations, des coopératives, mutuelles, associations évoluant, entre autres, dans le vivrier, les ressources halieutiques, l’artisanat. Elle revendique plus de 55 communautés issues de pays ouest-africains ; notamment, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Gambie, le Ghana, la Guinée-Conakry et la Côte d’Ivoire.

Toutes ont une seule volonté, une même vision, un idéal commun : l’entraide, la solidarité, l’épargne.

« C’est ce qu’on appelle l’Economie sociale solidaire (Ess). Nous avons créé l’Ong pour lutter contre la pauvreté, réduire les inégalités sociales, favoriser la solidarité, promouvoir l’entraide et créer des emplois pour les femmes, les assister à travers des financements. Nous nous rencontrons parfois, en semaine, pour faire le point sur nos activités, voir comment notre organisation évolue et dégager des perspectives, etc. », a laissé entendre Yoni Maïmouna, la présidente de l’Organisation.

La tontine d’appui solidaire

Pour concrétiser le principe de l’Ess, les femmes-membres de l’Ong ont pris des initiatives visant à améliorer leur situation dans la durabilité et l’inclusion financière. Pour ce faire, elles ont initié une tontine basée sur la solidarité, le partage des bénéfices, l’entraide et l’épargne. Diaby Mawa, présidente de la Mutuelle des femmes élites, membre de l’Ong Union africaine, explique ce fonctionnement.

« Nous mettons nos fonds ensemble. Au sein de l’organisation, il y a plusieurs groupes de tontines, dont la cotisation mensuelle va de 100 à 200 mille Fcfa, voire un million de Fcfa. Nous avons constitué des groupes de 25 personnes. Quand notre fonds atteint 10 millions de Fcfa, par exemple, nous prenons 8 millions pour nos activités (achat de marchandises à l’intérieur du pays), sans oublier d’alimenter les caisses des coopératives. Les deux millions restants nous servent à aider les plus démunies de l’Ong en leur octroyant un petit financement », a expliqué Diaby Mawa.

Notre interlocutrice nous fait savoir qu’avant de donner de l’argent aux femmes et dans un souci de transparence, les bénéficiaires de fonds signent des attestations qu’elles font certifier à la mairie de la commune comme preuve de leur engagement dans la lutte contre la pauvreté.

« La tontine nous permet d’acheminer nos marchandises, les vivriers sur différents marchés, ce qui est difficile voire impossible, individuellement. Mais, quand nous réunissons plus d’un million de Fcfa grâce à nos ventes, nous plaçons cette somme comme capital dans une micro finance dont les femmes partagent le bénéfice. C’est cela la chaîne de solidarité. Pour acheminer nos produits vivriers et autres marchandises vers les marchés, nous utilisons des camions de plus de 40 tonnes parfois pour nos adhérentes. Arrivées à destination, ces marchandises sont dispatchées entre leurs propriétaires », a-t-elle ajouté.

La tontine d’appui solidaire a permis à plus d’une centaine de femmes de se lancer dans des activités génératrices de revenus et de subvenir à leurs besoins. Yoni Maïmouna la présidente de l’organisation explique l’utilisation des fonds : « Les bénéfices sont gardés et l’on investit pour la pérennité de l’activité. Une partie de notre capital de 100 millions de FCfa est déposée dans une micro finance et l’autre réinvestie dans l’activité ».

Selon Kouadio Arnaud, secrétaire général du Réseau Ivoirien de l'Économie Sociale et Solidaire (Riess), la tontine est une forme traditionnelle de solidarité qui continue de faire ses preuves. Elle permet aux membres de s'entraider financièrement et d’auto-financer leurs projets avec des avantages, comme des taux d'intérêt très faibles ou quasi inexistants.

Cependant, pour un développement plus structuré et durable, il est bénéfique, selon lui, de combiner cela avec des services offerts par des structures de financement qui peuvent fournir un accès à des crédits plus importants à des taux abordables.

Ce que les bénéficiaires y gagnent

Dans le secteur du vivrier, l’Ess a contribué de manière significative à la lutte contre la pauvreté. Terra Mariam, membre de l’organisation, note que grâce au fonds reçus à travers la tontine d’appui solidaire, elle arrive à approvisionner en produits vivriers des restauratrices à Dabou, Bonoua. « Quand les camions nous amènent de la graine de palme depuis l’intérieur du pays, nous les livrons aux restauratrices de Bonoua. J’arrive à subvenir à mes besoins », a-t-elle affirmé. Cependant elle déplore le coût élevé du transport très préjudiciable à leurs activités.

Les activités que mènent les bénéficiaires de fonds dans le cadre de l’économie sociale solidaire, ne se limitent pas qu’aux produits vivriers. Elles s’étendent aussi à ceux de la pêche, précisément à la vente de poissons. Bilé Patricia, Secrétaire générale de l’Ong Union africaine, explique que dans le souci d’aider les femmes, l’organisation est en partenariat avec des pêcheurs du village de N’djèm (Jacqueville).

« Nous travaillons avec des pêcheurs togolais et béninois auprès desquels nos femmes s’approvisionnent grâce aux fonds que nous leur donnons. Elles revendent ensuite ces poissons fumés ou frais ». Cette activité occupe, outre, les Ivoiriennes, des communautés étrangères (béninoises, maliennes, togolaises). C’est une véritable chaîne de solidarité.

Ossery Latifina, une Béninoise, membre de l’Ong qui a en bénéficié partage son expérience. « J’ai pu bénéficier d’un fonds grâce à l’Ess, j’achète mes poissons à 15.000F le carton chez des vendeurs à Jacqueville. Je revends un poisson à 4000 FCFA pour un bénéfice de 1500, 2000 F voire plus. Cela me permet de m’occuper de ma famille ». « Quand tu es seul, ton activité peut ne peut s’agrandir. Nous sommes engagées à réussir la lutte contre la pauvreté », a laissé entendre Rafiou Yeyabo, Nigérienne, qui a affirmé avoir bénéficié d’un prêt de 100.000 FCfa pour mener son commerce de bouillie de maïs.

« Nous bénéficions du régime social des travailleurs indépendants, ce qui nous permet de faire des cotisations à la Cnps », a-t-elle témoigné.

L’économie sociale solidaire est un véritable système de réseautage pour les femmes qui s’y investissent. Lath Suzanne, présidente des femmes d’Adioukrou et vendeuse d’attiéké, a adhéré, récemment à l’Ong Union africaine. « J’ai adhéré à cette organisation pour livrer mes marchandises aux femmes qui veulent s’approvisionner en attiéké. Nous proposons nos services et un réseautage se crée entre nous », a-t-elle témoigné.

.................................................................................................................

« La Côte d’Ivoire a encore des progrès à faire »

En France, l’Ess contribue pour environ 10% au Pib, emploie plus de 2 millions de personnes et bénéficie d'un cadre juridique solide grâce à la loi Ess de 2014 ; qui favorise son développement. En Afrique, des pays comme le Sénégal, le Maroc et le Cameroun ont créé des Ministères dédiés à ce type d’économie. « En Côte d’Ivoire, nous avons encore des progrès à faire, notamment en termes de reconnaissance institutionnelle de l’Ess », a affirmé Dr Jules Gouhan, président du Réseau ivoirien de l'économie sociale et solidaire (Riess).

Créée depuis 2006, cette structure regroupe 485 organisations-membres. Dr Jules Gouhan est convaincu que l’Ess peut apporter une contribution significative au développement de la Côte d'Ivoire dont l’économie repose essentiellement sur l’agriculture qui représente plus de 25 % du Pib.

« Les coopératives de producteurs de produits vivriers (tomates, oignons, piment, manioc, igname et banane) permettent aux agriculteurs de mutualiser leurs ressources. En soutenant ces coopératives, l'État peut réduire le chômage rural, augmenter la production du vivrier et améliorer la sécurité alimentaire ; ce qui est crucial pour la stabilité sociale. Aussi, les coopératives peuvent-elles faciliter l'accès des agriculteurs aux marchés. L'Ess permet également la transformation des produits vivriers pour créer de la valeur ajoutée. L'État peut ainsi bénéficier d'une diversification de l'économie, réduire sa dépendance aux exportations de matières premières et promouvoir une économie plus résiliente », a-t-il expliqué.


L'Économie sociale et solidaire peut jouer un rôle clé dans la réduction du chômage des jeunes et de la vulnérabilité des femmes. « En créant des emplois dans des secteurs non concurrentiels, en offrant une diversité d'opportunités d'employabilité, en favorisant l'autonomisation, en fournissant des formations adaptées et en soutenant l'entreprenariat social, l'Ess contribue à renforcer la résilience économique et sociale de ces groupes face aux défis du chômage et du manque d'opportunités », a soutenu Dr Jules Gouhan. Il a, par ailleurs, souligné que l’Ess se veut transparente et éthique. Bien que des litiges et incompréhensions puissent exister, comme dans toute organisation.

C’est pourquoi, son organisation dispense des formations pratiques en gestion et résolution des litiges entre organisations membres. « Nous apportons un soutien technique et financier aux structures membres du Riess à travers des formations sur les principes de l’Ess, la bonne gestion de la vie associative et coopérative, la gestion de projets coopératifs, l’éducation et l'accès à des ressources financières adaptées », a-t-il indiqué.

Selon Dr Jules Gouhan, le gouvernement ivoirien œuvre au développement de l'Économie sociale et solidaire. A l’en croire, au titre de l’année 2024, le gouvernement a pris une loi visant à institutionnaliser l'Ess afin de garantir sa pérennité et son expansion. Le ministère de la Cohésion nationale, de la Solidarité et de la Lutte contre la pauvreté travaille activement à l'élaboration de projets de loi-cadre spécifiques à l'Ess.

Il a également initié deux projets de décrets portant création d'une Agence nationale et d'un Comité national de l'Ess pour assurer un suivi et un appui institutionnel adéquat aux acteurs. Toujours dans le cadre de la promotion de l’Ess, la Côte d’Ivoire a abrité les 4 et 5 novembre 2024, un colloque scientifique sur l’Ess organisé par Africa Perspectives Institute (Api) dont le président du Conseil d’administration est Dr Souleymane Diarrassouba, ministre du Commerce et de l’Industrie.

...............................................................................................................................

Une création de richesse...

L’Economie sociale solidaire (Ess) repose sur la solidarité qui émane des pratiques traditionnelles et coutume des Africains fondés sur le partage. L’Ess est contraire à l’économie moderne caractérisée par la recherche du profit.

« L’Economie sociale solidaire consiste, pour les adhérents, à mettre ensemble les moyens pour solutionner ou lutter contre la pauvreté.
Il importe de préciser que cette forme d’économie n’est pas nouvelle en Afrique car de tout temps, les Africains ont toujours cultivé les valeurs de solidarité et de cohésion sociale », a laissé entendre Dr Assandé Paul Koffi, Directeur exécutif du Tink Thank Africa perspective Institue.

Il a ajouté que si la Côte d’Ivoire a, aujourd’hui, une croissance économique très forte, cela est dû, en partie, au développement de l’économie sociale qui est une économie pour le peuple, basée sur la distribution de la richesse. Cependant, bien que développée, cette économie souffre de l’absence d’un cadre règlementaire national pour la promouvoir.

« Nous sommes un peu en retard en termes de structuration.
Au Sénégal, par exemple, la problématique est d’autant importante et prise au sérieux par l’Etat qu’un Ministère y est dédié. Il en est de même pour le Maroc où existe même un ministère de l’Economie sociale et solidaire. C’est vous dire que ces pays ont créé des conditions additionnelles pour que l’Ess soit mieux appréhendée », a fait savoir Dr Assandé Paul Koffi.

Il a souligné que Tink Thank est un laboratoire idéal pour des propositions et de création de cadre de réflexion sur des actions pertinentes.




Le 08/02/25 à 17:36
modifié 08/02/25 à 18:09