Portrait/Abass Zein : Quand l’art prend le dessus sur la médecine
Puis, un monsieur, en jeans et baskets, tempes grisonnantes, monte sur la scène et s’incline, avec les acteurs, devant les applaudissements nourris des spectateurs. Qui est-il ? Et que sait-on vraiment de lui ? Pas grand-chose. Et pour cause, dans le monde du théâtre contemporain, si certains brillent sur le devant de la scène, d’autres en revanche, malgré leur talent indéniable et leur précieuse instigation, évoluent dans l’ombre.
C’est le cas du docteur Abass Zein, ce médecin, dramaturge devenu que nous avons rencontré dans un sympathique restaurant de la commune de Cocody à la fin du mois de février.
Vêtu d’un bermuda et d’un T-shirt, Abass Zein affiche décontraction, simplicité et la discrétion de ceux qui préfèrent laisser parler leurs œuvres plutôt que de plastronner sous les feux des projecteurs. Et qui ont choisi la qualité du travail à l’esbroufe.

À peine les échanges entamés avec ce fringuant sexagénaire que son regard commence à briller derrière ses lunettes de vue lorsqu’il se porte sur ses 40 ans de vie consacrés au théâtre. Affable, c’est avec un certain entrain qu’il expose son parcours artistique, autant dire son parcours de vie.
C’est à Dakar, au pays de la Teranga qu’il voit le jour quelques années avant la vague des indépendances des pays africains. Puis comme sa famille est établie à Abidjan depuis de longues décennies, le petit Abass commence sa scolarité à l’école Saint Jean-Bosco, dans la commune cosmopolite de Treichville.
Après une scolarité sans embûches, il décroche le Bac au lycée classique d’Abidjan. La faculté de médecine lui ouvre alors les portes. Concomitamment à ses études, nous dit-il : « J’ai créé avec des copains la première troupe folklorique des élèves et étudiants libanais en Côte d’Ivoire ».
Nous sommes en 1976, et Abass Zein a déjà contracté le virus de la scène. Le succès de la troupe qu’il a montée lui indique une nouvelle vocation. Et même quand les exigences de la blouse blanche lui enjoignent, en 3e année de médecine, de s’envoler pour l’université d’Angers, en France, où il obtiendra son doctorat, sa passion pour la dramaturgie ne guérira point. «Je n’ai pas pu abandonner ma passion des planches», affirme-t-il.
De retour en Côte d’Ivoire, il ouvre son cabinet de médecin à Yamoussoukro. Là-bas, il devient comme une sorte de trait d’union, de limon entre les communautés ivoirienne, libanaise et européenne de la ville. Grâce à son serment d’Hippocrate et les soins qui vont avec, mais aussi et surtout à cause de ses représentations théâtrales. Lui, l’autodidacte de la scène, se positionne comme l’un des animateurs culturels majeurs de la capitale politique ivoirienne.
C’est à ce moment qu’il crée le concept des « Stories » avec des pièces de théâtre qui marqueront les esprits des amateurs. « Toubabou story », « Chawarma story », « Garba story » et bien d’autres pièces de théâtre qui surprennent par leur originalité autant qu’elles récoltent les vivats du public.
Homme-orchestre
Porté par ses succès survenus assez tôt, Abass Zein va mener une double vie. Médecin le jour et dramaturge le soir. Cette dualité lui confère une singularité rare dans le milieu des arts.

Conscient dès le début de son parcours artistique qu’il lui faut être à la hauteur des défis de sa vocation pour le théâtre, il va bosser comme un forcené. « Comme je suis curieux de tout, j’ai pris du plaisir à lire et à aller voir les pièces de mes prédécesseurs », nous confie-t-il. Et à force de travail, et de créativité, il parvient à avoir des compétences reconnues de tous.
Pour ses pièces, Abass Zein révèle qu’il s’occupe de tout. « Que ce soient les dialogues, le décor, les costumes, la musique, la lumière, etc, je m’occupe de tout. Et pour des domaines tels que la musique où je n’ai pas de réelles compétences, j’explique, à ceux qui en ont, mes envies, ce que je veux et comment je voudrais que cela soit fait ».
L’artiste, car il faut le nommer ainsi, est un homme-orchestre, un architecte patient qui consacre entre 2 à 5 ans pour concevoir et peaufiner ses pièces. Ceux qui ont eu l’heur de voir ses représentations sont souvent loin de s’imaginer combien de temps il passe sur ses œuvres.
Récemment, ses pièces de théâtre « L’Avare » de Molière revisitées à la sauce ivoirienne et Soundjata ont été jouées plus d’une dizaine de fois à guichets fermés. En dépit de ce succès, Abass Zein estime que le théâtre et la danse sont « les deux parents pauvres du monde de la culture et des arts en Côte d’Ivoire ».
Aussi s’est-il assigné la mission de les sortir de leur milieu élitiste pour les porter devant le grand public. « Je rêve d’aller dans les quartiers d’Abidjan, dans les villes et villages de l’intérieur du pays pour les présenter ».
Pour lui, il est primordial de tirer le public vers le haut par des pièces qui donnent matière à réfléchir. Cette nourriture intellectuelle et émotionnelle, selon notre médecin dramaturge, est essentielle pour l’épanouissement des citoyens. « On ne se nourrit pas que de pain», dit-il avec son sens de la formule teinté d’humour.
Décoration
Les œuvres d’Abass Zein sont marquées par des thèmes universels. Il porte sur les planches les silhouettes glorieuses et/ou vils que lui offre le spectacle de la vie des hommes. Mais surtout, il sait, comme un excellent cordon-bleu allier saveur et senteur, rapprocher les époques, mixer les cultures dans le blender de ses inspirations originales.
Profondément attaché à sa Côte d’Ivoire, l’artiste, malgré des origines orientales, se définit et vit comme un Ivoirien authentique. Et démontre par son attachement au pays des Éléphants que l’amour pour une patrie et le sentiment d’appartenance qui va avec ne sont pas qu’une affaire d’épiderme ou d’origine multiséculaire.
Chevalier des arts et de la culture en France, on peut s’étonner que le nom d’Abass Zein ne soit pas encore dans le livre blanc des décorations en Côte d’Ivoire. L’artiste sourit lorsqu’on évoque avec lui la question. «Ça viendra un jour», dit celui qui pense que le succès est la somme du travail, de la patience, de la persévérance et de l’humilité.
Médecin et dramaturge, la vie d’Abass Zein prouve que l’on n’est pas exclusivement déterminé par une seule voie professionnelle, ni une unique passion. Et que l’on peut briller tout en restant à l’ombre. Car à un moment où un autre, les vrais talents sont reconnus.