Le foncier, un problème à résoudre à Abidjan (DR)
Côte d'Ivoire : L'heure des réformes pour un foncier apaisé
Ces derniers mois, la Côte d'Ivoire est confrontée à une vague de scandales fonciers et d'accusations de corruption, mettant au jour des tensions entre droits coutumiers traditionnels et système moderne de propriété. L'affaire « Dame Traoré Assetou », largement relayée sur les réseaux sociaux en février dernier, a ravivé les inquiétudes quant à la transparence et à l'équité dans l'accès à la propriété. Une situation que le gouvernement prend à bras le corps, en accélérant les réformes structurelles.
Une crise révélatrice de failles structurelles
« Je suis victime d’une spoliation. On m’a pris mon terrain, et je ne sais plus à qui m’adresser ! ». L’appel à l’aide lancé par Dame Traoré Assetou sur les réseaux sociaux en février 2025 a soulevé une vague d’indignation inédite en Côte d’ivoire, révélant les défis persistants du secteur foncier au sein de la nation éburnéenne. Cette ressortissante ivoirienne, résidant et travaillant en France, a investi en 2015 dans un terrain à Cocody en périphérie d’Abidjan.
Dans une vidéo où elle exprime toute sa détresse, en interpellant la présidence et le ministère de la Construction, elle assure avoir obtenu à cette époque une « attestation villageoise » du propriétaire coutumier sans jamais obtenir par la suite un Arrêté de Concession définitive (Acd), c’est-à-dire de titre officiel de propriété délivré par l’État. Pis, cet ACD aurait finalement été remis à un autre acheteur qui ne s’est pas privé d’engager immédiatement des travaux sur le terrain en question.
Un terrain pour deux propriétaires
Un terrain pour deux propriétaires, l’affaire est digne du roi Salomon. Et de fait, le cri de désespoir de la plaignante n’est pas resté lettre morte, provoquant des réactions en série sur les réseaux sociaux. Aussi, les projecteurs se sont tournés vers Komé Bakary, l’homme d’affaires qui s’est approprié le terrain de Dame Traoré Assetou. Il apparaît en effet que sa demande d’ACD a été validée en 2023 sur la base d’attestations villageoises qui auraient été obtenues en 2018 et 2021. Falsification de documents, double-attribution de parcelles, spoliation : l’affaire est en cours. Toujours est-il que dans la foulée de la publication de la vidéo devenue virale, d’autres plaignants se sont fait connaître, comme l’imam Cissé ou M. N'Goran Léon, affirmant être les victimes du même Komé Bakary.
Des dysfonctionnements dans une dualité juridique
Ces dysfonctionnements s’enracinent dans une dualité juridique persistante en Côte d’Ivoire : d'un côté, les droits coutumiers perpétués par les chefs de village ; de l'autre, un système moderne de propriété foncière encore mal intégré. C’est « l’attestation villageoise » qui est la pierre angulaire du système foncier, car sans elle, il est impossible d’obtenir une reconnaissance légale d’un droit de propriété immobilier se traduisant par une ACD du ministère de la Construction et de l’Urbanisme. Quant au chef du village du lotissement de Cocody, Nanan Minkan Assi Joseph, il est récemment sorti du silence : « Je n'ai jamais fait de transaction avec M. Komé Bakary. Il n'a jamais eu d'attestation villageoise. Dans mon guide du village, ce sont plutôt ses victimes qui sont enregistrées ». L’homme d’affaires aurait donc reçu une ACD sans preuve valable d’attestation villageoise, ce qui a semé le doute concernant la probité de l’administration.
La réponse immédiate du gouvernement
En réponse, le gouvernement a immédiatement annoncé l'ouverture d'une enquête interne approfondie, doublée d'une instruction judiciaire, pour faire toute la lumière sur ces accusations de corruption. Abdoulaye Diallo, directeur du domaine urbain au ministère de la Construction, a confirmé le licenciement d'une vingtaine d'agents accusés d’avoir versé dans des manipulations de procédures administratives en octroyant des terrains via des ACD frauduleux.
L’administration a également saisi cette occasion pour accélérer la mise en place de la réforme foncière entrée en vigueur le 1er janvier 2025 avec la création de l’Attestation de droit d'usage coutumier (ADU). Depuis cette date, l’ADU a remplacé l’ancienne attestation villageoise et est devenue le seul document requis pour demander une ACD. Elle est par ailleurs dotée d’un QR code unique qui permet de renforcer la sécurisation des transactions et d’éviter les doubles attributions de terrains.
La sécurisation foncière et l’accès au logement une priorité de l’État
De fait, depuis 2011, l’administration du président Alassane Ouattara a fait de la sécurisation foncière et de l’accès au logement une priorité d’État. Ainsi, en 2021, l’adoption d’un cadre juridique renforcé et moderne avec un Code de la Construction et de l’Habitat et un Code de l’Urbanisme et du Domaine Foncier Urbain qui réglemente le secteur de l’urbanisme et de l’habitat. Qui a permis la délivrance de plus de 17 000 ACD dans la région d’Abidjan. Un chiffre à comparer avec une moyenne annuelle de 5 500 ACD avant la réforme, dans la région la plus peuplée de Côte d’Ivoire. L’année suivante, une nouvelle réforme foncière était adoptée pour organiser les procédures de lotissement, permettant un titrement massif des parcelles et un resserrement du contrôle des constructions tout comme de la répression des contrevenants.
Plus récemment, en juillet 2024, le lancement du Programme de renforcement de la sécurité foncière rurale (PRESFOR), doté de 200 millions de dollars, est un des jalons majeurs de cette ambition nationale. Ce programme vise à délivrer 500 000 certificats fonciers et 250 000 contrats agraires d'ici 2029, avec un accent particulier sur l'inclusion des femmes et des communautés marginalisées. Le Projet d'amélioration et de mise en œuvre de la politique foncière rurale (PAMOFOR), mené entre 2018 et 2024, a quant à lui permis à près de 48 000 propriétaires terriens d'obtenir leurs certificats fonciers.
Si les récents scandales ont mis en lumière les failles persistantes du système foncier ivoirien, la prise de conscience au sommet de l'État ne date pas d’hier. Les réformes engagées ces dernières années témoignent d'une volonté politique forte d'instaurer un cadre juridique plus transparent et inclusif et d’une lutte contre la corruption à tous les niveaux qui a permis à la Côte d’Ivoire de passer du 154ème rang sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International en 2011 au 87ème rang en 2023. Et si la tâche reste immense, alors que la terre demeure un enjeu sensible sur le plan économique et identitaire, les efforts entrepris posent les bases d'une gouvernance foncière apaisée et adaptée aux défis contemporains. À terme, ces réformes pourraient non seulement réduire les tensions sociales, mais aussi stimuler l'investissement agricole et urbain indispensable au développement durable du pays.
Didier Assoumou
« Je suis victime d’une spoliation. On m’a pris mon terrain, et je ne sais plus à qui m’adresser ! ». L’appel à l’aide lancé par Dame Traoré Assetou sur les réseaux sociaux en février 2025 a soulevé une vague d’indignation inédite en Côte d’ivoire, révélant les défis persistants du secteur foncier au sein de la nation éburnéenne. Cette ressortissante ivoirienne, résidant et travaillant en France, a investi en 2015 dans un terrain à Cocody en périphérie d’Abidjan.
Dans une vidéo où elle exprime toute sa détresse, en interpellant la présidence et le ministère de la Construction, elle assure avoir obtenu à cette époque une « attestation villageoise » du propriétaire coutumier sans jamais obtenir par la suite un Arrêté de Concession définitive (Acd), c’est-à-dire de titre officiel de propriété délivré par l’État. Pis, cet ACD aurait finalement été remis à un autre acheteur qui ne s’est pas privé d’engager immédiatement des travaux sur le terrain en question.
Un terrain pour deux propriétaires
Un terrain pour deux propriétaires, l’affaire est digne du roi Salomon. Et de fait, le cri de désespoir de la plaignante n’est pas resté lettre morte, provoquant des réactions en série sur les réseaux sociaux. Aussi, les projecteurs se sont tournés vers Komé Bakary, l’homme d’affaires qui s’est approprié le terrain de Dame Traoré Assetou. Il apparaît en effet que sa demande d’ACD a été validée en 2023 sur la base d’attestations villageoises qui auraient été obtenues en 2018 et 2021. Falsification de documents, double-attribution de parcelles, spoliation : l’affaire est en cours. Toujours est-il que dans la foulée de la publication de la vidéo devenue virale, d’autres plaignants se sont fait connaître, comme l’imam Cissé ou M. N'Goran Léon, affirmant être les victimes du même Komé Bakary.
Des dysfonctionnements dans une dualité juridique
Ces dysfonctionnements s’enracinent dans une dualité juridique persistante en Côte d’Ivoire : d'un côté, les droits coutumiers perpétués par les chefs de village ; de l'autre, un système moderne de propriété foncière encore mal intégré. C’est « l’attestation villageoise » qui est la pierre angulaire du système foncier, car sans elle, il est impossible d’obtenir une reconnaissance légale d’un droit de propriété immobilier se traduisant par une ACD du ministère de la Construction et de l’Urbanisme. Quant au chef du village du lotissement de Cocody, Nanan Minkan Assi Joseph, il est récemment sorti du silence : « Je n'ai jamais fait de transaction avec M. Komé Bakary. Il n'a jamais eu d'attestation villageoise. Dans mon guide du village, ce sont plutôt ses victimes qui sont enregistrées ». L’homme d’affaires aurait donc reçu une ACD sans preuve valable d’attestation villageoise, ce qui a semé le doute concernant la probité de l’administration.
La réponse immédiate du gouvernement
En réponse, le gouvernement a immédiatement annoncé l'ouverture d'une enquête interne approfondie, doublée d'une instruction judiciaire, pour faire toute la lumière sur ces accusations de corruption. Abdoulaye Diallo, directeur du domaine urbain au ministère de la Construction, a confirmé le licenciement d'une vingtaine d'agents accusés d’avoir versé dans des manipulations de procédures administratives en octroyant des terrains via des ACD frauduleux.
L’administration a également saisi cette occasion pour accélérer la mise en place de la réforme foncière entrée en vigueur le 1er janvier 2025 avec la création de l’Attestation de droit d'usage coutumier (ADU). Depuis cette date, l’ADU a remplacé l’ancienne attestation villageoise et est devenue le seul document requis pour demander une ACD. Elle est par ailleurs dotée d’un QR code unique qui permet de renforcer la sécurisation des transactions et d’éviter les doubles attributions de terrains.
La sécurisation foncière et l’accès au logement une priorité de l’État
De fait, depuis 2011, l’administration du président Alassane Ouattara a fait de la sécurisation foncière et de l’accès au logement une priorité d’État. Ainsi, en 2021, l’adoption d’un cadre juridique renforcé et moderne avec un Code de la Construction et de l’Habitat et un Code de l’Urbanisme et du Domaine Foncier Urbain qui réglemente le secteur de l’urbanisme et de l’habitat. Qui a permis la délivrance de plus de 17 000 ACD dans la région d’Abidjan. Un chiffre à comparer avec une moyenne annuelle de 5 500 ACD avant la réforme, dans la région la plus peuplée de Côte d’Ivoire. L’année suivante, une nouvelle réforme foncière était adoptée pour organiser les procédures de lotissement, permettant un titrement massif des parcelles et un resserrement du contrôle des constructions tout comme de la répression des contrevenants.
Plus récemment, en juillet 2024, le lancement du Programme de renforcement de la sécurité foncière rurale (PRESFOR), doté de 200 millions de dollars, est un des jalons majeurs de cette ambition nationale. Ce programme vise à délivrer 500 000 certificats fonciers et 250 000 contrats agraires d'ici 2029, avec un accent particulier sur l'inclusion des femmes et des communautés marginalisées. Le Projet d'amélioration et de mise en œuvre de la politique foncière rurale (PAMOFOR), mené entre 2018 et 2024, a quant à lui permis à près de 48 000 propriétaires terriens d'obtenir leurs certificats fonciers.
Si les récents scandales ont mis en lumière les failles persistantes du système foncier ivoirien, la prise de conscience au sommet de l'État ne date pas d’hier. Les réformes engagées ces dernières années témoignent d'une volonté politique forte d'instaurer un cadre juridique plus transparent et inclusif et d’une lutte contre la corruption à tous les niveaux qui a permis à la Côte d’Ivoire de passer du 154ème rang sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International en 2011 au 87ème rang en 2023. Et si la tâche reste immense, alors que la terre demeure un enjeu sensible sur le plan économique et identitaire, les efforts entrepris posent les bases d'une gouvernance foncière apaisée et adaptée aux défis contemporains. À terme, ces réformes pourraient non seulement réduire les tensions sociales, mais aussi stimuler l'investissement agricole et urbain indispensable au développement durable du pays.
Didier Assoumou