
Portrait/Martha Diomandé : Son combat contre l’excision
Depuis maintenant une vingtaine d’années, Martha Diomandé ne ménage aucun effort pour prêcher la bonne parole et «détourner ses parents» d’une tradition qui «fait beaucoup de torts aux femmes». La croisade contre les mutilations génitales faites aux femmes a commencé en France.
Invitée à une conférence sur l’excision, Martha Diomandé entend la conférencière tenir les propos biaisés, parfois erronés, et dont les raccourcis, légion, la hérissent. Elle, excisée depuis la tendre enfance, ne tient pas sur son siège.

Chaque mot prononcé par celle qui tient le crachoir est comme une écharde plantée dans sa chair, et les phrases sont comme un coup de canif qui ravive en elle la douleur de sa mutilation. Et, comme poussée par une force invisible, Martha se lève, s’empare du micro pour rétablir la vérité, apporter le témoignage vivant de celles qui en ont été victimes.
Sa connaissance de l’excision, Martha Diomandé ne l’a pas puisée dans les bouquins, elle est réelle, basée sur un vécu douloureux. « Je ne pouvais pas accepter de laisser quelqu’un débiter des contre-vérités sur cette pratique rétrograde », se souvient-elle.
À la sortie de cette conférence, elle prend la résolution de fonder une Ong. Nous sommes en 2005, l’Association culturelle Zassa d’Afrique (Acza), dont la mission est de mettre un terme aux mutilations génitales féminines vient de voir le jour.
Avec ses maigres moyens et l’aide de quelques partenaires, la militante arpente les villages de la Côte d’Ivoire pour sensibiliser. « Au début, les gens n’étaient pas très réceptifs. Mais avec le temps, ils ont commencé à comprendre le bien-fondé de notre action. Et aujourd’hui, notre démarche participative a permis de reconvertir plus de 500 exciseuses issues de 21 villages du pays », dit-elle avec une pointe de fierté.
Vingt ans après la création de l’Acza, Martha Diomandé se réjouit de ne s’être pas trompée en s’engageant dans la lutte contre les mutilations génitales. « Nous faisons œuvre utile », clame celle qui a réussi à convaincre de nombreux parents à ne pas faire passer leurs filles sous le couteau.
« Le gouvernement fait beaucoup dans la lutte contre l’excision. Et la pratique connaît une bonne régression. Mais dans certains villages reculés et même dans des villes, la pratique a la peau dure et continue dans le secret », révèle-t-elle.
Face aux poches de résistance, la sensibilisation est efficace. « Il y a des femmes qui l’ont fait toute leur vie. Qu’est-ce qu’on leur donne en contrepartie ? La répression a ses limites. C’est pourquoi nous leur proposons la reconversion, afin qu’elles puissent vivre de leur savoir-faire. Notamment leur connaissance des plantes médicinales qui peuvent être utiles, par exemple, aux femmes enceintes », argumente-t-elle.
L’autre aspect de sa lutte se traduit par le parrainage de jeunes filles en prenant entièrement en charge leur scolarité. « À ce jour, nous avons une cinquantaine de filles à notre charge dont les parents ont pris l’engagement de ne pas les faire exciser ».
Militante prosélyte de la lutte contre l’excision, Martha Diomandé est aussi et avant tout une chorégraphe qui tient une école de danse en France, dans la ville de Rennes. C’est dans les années 1980, au moment où le dynamisme culturel ivoirien produisait des talents dans tous les domaines artistiques que Martha Diomandé contracte, un peu par hasard, le virus de la danse.
« J’avais 9 ans et pendant les vacances scolaires, des aînés du quartier de Yopougon où je résidais avec ma famille m’ont proposé d’intégrer un groupe de danse pour représenter la commune à Vacances cultures », confie-t-elle.
Martha surprend tout le monde par son agilité et sa capacité à faire rimer ses pas de danse avec la musique. Elle est désignée meilleure danseuse. « Tout s’est très vite enchaîné par la suite », se remémore-t-elle.

Globe-Trotter
Elle rejoint la troupe de l’acteur Assandé Fargas, puis celle de la célèbre chorégraphe Rose-Marie Guiraud. Et enfin, la compagnie Djolen. Dans toutes ces écoles, elle peaufine le talent qui sommeillait en elle. « Mon rêve quand j’étais enfant n’était pas de devenir une danseuse. C’est pourquoi je dis souvent que c’est la danse qui m’a choisie». S’ensuivent alors des tournées aux quatre coins du monde.
La danse fait d’elle une Globe-Trotter. Après plusieurs années à se produire dans les festivals les plus importants d’Afrique, d’Europe et même d’Amérique, Martha décide de fonder sa propre compagnie pour rendre, dit-elle, aux plus jeunes ce qu’elle a reçu de ses aînés.
Ainsi, avec sa compagnie « Wassa », elle a formé de nombreux jeunes ivoiriens. « Nous avons été cooptés par les meilleurs festivals dans le monde », affirme-t-elle.
Et quand les soubresauts politiques éclatent en Côte d’Ivoire, elle prend la résolution de s’établir dans la ville de Rennes où elle a des propositions pour enseigner son art. Là-bas, elle apprend aux Européens les danses traditionnelles ivoiriennes, mais aussi celles d’autres pays africains. Notamment le Zaouli, le Tématé, le Sabar, etc.
Elle enseigne également les danses contemporaines telles que le coupé-décalé, le kizomba et bien d’autres. Pour joindre l’utile à l’agréable, Martha a aussi mis en place un festival dont l’objectif est de conserver le volet festif et l’aspect culturel liés à la pratique de l’excision.
« L’objectif est de démontrer qu’on peut bannir l’excision, mais conserver les manifestations culturelles qui ont lieu autour de cette pratique. Parce qu’on a constaté que certaines personnes étaient réfractaires à l’arrêt de l’excision pour cette raison. Nous leur disons que l’objectif n’est pas de s’opposer aux festivités entourant la pratique. C’est le couteau le problème et non les réjouissances », dit-elle.
Si elle juge le bilan de ses actions sur le terrain « satisfaisant », elle n’entend pas relâcher la lutte tant qu’elle n’aura pas la certitude que, sur l’ensemble du territoire national, aucune femme ne subit, dans son intimité, la blessure du couteau.