Reportage/Le « Faux départ » du Mogho Naaba : Un rituel entre mémoire et paix, au cœur de Ouagadougou

Entrée principale du Palais du Moro Naba
Entrée principale du Palais du Moro Naba
Entrée principale du Palais du Moro Naba

Reportage/Le « Faux départ » du Mogho Naaba : Un rituel entre mémoire et paix, au cœur de Ouagadougou

Le 13/04/25 à 13:42
modifié 13/04/25 à 14:34
Il est un peu plus de huit heures ce vendredi matin à Ouagadougou. Nous sommes présents dans le cadre de la 29e édition du Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (Fespaco), qui se déroule du 22 février au 1er mars 2025.
Ici, les images sont interdites : pas de photos, pas de vidéos. Seules les mémoires des témoins peuvent capturer l’essence de ce moment hors du temps, connu sous le nom de « Faux départ ». Une cérémonie ancrée dans la tradition du royaume Mossi, qui se tient dans l’intimité sacrée de l’arrière-cour du palais du Mogho Naaba Baongo II.

Sous un soleil déjà haut, la chaleur n’éclipse pas la solennité qui enveloppe le lieu. Le décor est sobre, fait de monticules de terre et d’arbres délimitant un espace ancien, préservé, immuable. Le Palais du Mogho Naaba semble suspendu, comme tout ce qui l’entoure. La ville entière semble retenir son souffle.

Ce jour-là, en plus des habitants de Ouagadougou, des touristes de passage pour le Fespaco et même des écoliers venus en groupes s’agglutinent, impatients d’assister à ce moment rare. Arrivés un peu plus tôt, nous avons l’occasion de discuter avec un certain Paré L., un sexagénaire adossé à sa bicyclette sous un arbre. Avec humour, il nous confie qu’il vient chaque vendredi pour "réclamer son loyer" au Mogho Naaba, une référence aux plaisanteries rituelles entre Mossis et Samos, les véritables autochtones du plateau mossi.

À mesure que l’heure approche, la foule grossit. Des guides expliquent la scène à des visiteurs, majoritairement occidentaux. L’arrivée du Ouidi Naaba, Premier ministre du royaume, marque le début de la cérémonie, suivi des autres ministres et dignitaires.

Chaque vendredi matin depuis des siècles, ce rituel se reproduit à l’identique. Le Moro Naba, vêtu d’un habit rouge et or, entre en scène, accompagné de sa garde et de ses conseillers. Le silence s’impose, chargé d’émotion. Les tambours résonnent au loin. Tous les regards sont tournés vers le roi.

Soudain, des coups de canon éclatent : le Faux départ commence. Le roi simule une déclaration de guerre. C’est un acte symbolique, profondément codifié, où chaque geste a sa signification. Les conseillers s’avancent, le retiennent, le dissuadent. Finalement, le souverain cède. Il retourne dans la case sacrée pour en ressortir vêtu de blanc, signe qu’il choisit la paix. Une seconde salve de canon marque la fin de la cérémonie.

Ce moment, bien plus qu’une représentation, est un message : la guerre est un dernier recours. Le roi incarne la sagesse et la réconciliation. Ce n’est pas un spectacle, mais une leçon transmise aux générations. Sawadogo Mahamadi, commerçant du quartier Zogona, nous confie : « C’est un moment fort, un rappel que la paix doit toujours primer sur les conflits ».

La cérémonie transcende les siècles. Elle tire ses racines de l’ancien système de gouvernance mossi. Un spectateur nous explique que ce rite fait aussi référence à une vieille histoire : celle d’un frère du Moro Naba qui aurait emporté des attributs royaux avec l’aide d’un proche de la cour. D’où cette mise en scène du roi prêt à les récupérer.

D’ailleurs, à Ouagadougou, il ne faut pas confondre le Mogho Naaba avec le Ouagadougou Naaba, descendant des Samos et dont le palais se trouve à Ninsin, à environ cinq kilomètres de celui du Mogho Naaba.

Ce rituel du Faux départ rappelle que les grandes décisions doivent être guidées par la réflexion et non par l’impulsion. Malgré les changements au fil des siècles, le royaume Mossi préserve ce symbole de stabilité.

Durant une trentaine de minutes, tout semble suspendu. Chaque mouvement est lent, chaque mot chuchoté semble traverser le temps. On imagine les anciens rois, réitérant ce même geste, liant le passé au présent.

Quand le Mogho Naaba se retire avec ses conseillers, la foule reste immobile un instant. Personne ne parle. La paix, une fois encore, a été préservée. Et c’est sans doute cela, la véritable force de ce peuple : faire de la tradition un outil de sagesse, de cohésion et de transmission.

Naaba Baongo II (né Ousmane Congo) est le 37e Mogho Naaba (empereur des Mossi), succédant à son père, le Mogho Naaba Kougri, décédé le 8 décembre 1982.

Envoyé spécial à Ouagadougou


Le 13/04/25 à 13:42
modifié 13/04/25 à 14:34