Portrait/Madéka Kouadio-Timmerman (artiste-chanteuse et cheffe d’entreprise): De la chanson au doublage de films
Résidente à Paris, la capitale française où se trouve le siège de son entreprise spécialisée dans la production et la post-production audiovisuelle, Madéka Kouadio-Timmerman a instauré une visite guidée de ses locaux d’Abidjan depuis 2014. Plus que de simples portes qui s’ouvrent, c’est une sorte de transmission de vocation à laquelle elle tient particulièrement. Et l’adosser aux activités de la célébration de la Journée internationale des droits de la femme n’est pas anodin.
Une âme d’entrepreneur depuis l’enfance
Madeleine Aya Kouadio, de son vrai nom, était loin d’imaginer la belle trajectoire qui est la sienne. Née dans une famille très modeste, c’est dès son enfance qu’elle a dû apprendre à se battre pour subvenir non seulement à ses besoins, mais aussi à ceux de sa famille. Avec ses visiteuses du jour, elle égrène ses précieux souvenirs au rythme de ses pas. Remontant dans le présent, une époque où ses passe-temps après école étaient faits de petits commerces.
« J’ai vendu de l’eau glacée, des oranges, des beignets et des feuilles d’attiéké quand je n’avais pas cours. J’aidais également mon père dans sa blanchisserie à Port-Bouët 2 », raconte cette entrepreneure précoce, les yeux pleins de fierté.
Fille d’une chanteuse traditionnelle, la musique a toujours été présente dans sa vie. « J’accompagnais ma mère lors des cérémonies où elle se produisait avec un instrument traditionnel qui m’intriguait beaucoup. Ces moments ont profondément influencé mon amour pour la musique. Dès mon plus jeune âge, je chantais et imitais les grandes dames de l’époque comme Aïcha Koné et Reine Pélagie », se souvient-elle.
Un passage à l’orchestre de la Rti
C’est ainsi qu’un jour, elle va tenter sa chance lors d’une audition à l’orchestre de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (Rti), dirigé à cette époque par Assalé Best. C’est lui qui va l’encourager à s’entraîner et à revenir. Une belle leçon qui lui restera à vie. Car à ce propos, elle dira : « J’ai appris que le talent sans travail n’est rien ».
Après quelques mois d’entraînement, le travail a fini par payer, car elle a été embauchée comme choriste. Elle avait 18 ans. « L’orchestre de la Rti m’a offert tout ce dont je rêvais : la musique, les voyages et le public », confie-t-elle. En 1990, la chanteuse qui se fait désormais appelée Madéka (assurément plus fun) sort Tam-tam d’Afrique qui connaît un succès, suivi du titre Nsi mi ablé en 1992. Puis surviendront d’autres chansons telles que Famaya, Assoman, J’ai 2 amours, Mokote, Sarami, Miwa.

« Mon premier disque est sorti en 1988 en Italie chez Ricordi et en France chez Musidisc, puis en 1989 en Côte d’Ivoire chez Emi-Pathé Marconi. Mokoté a été distingué sur deux compilations de Putumayo, dont celle des meilleurs titres pour les 10 ans du label, ainsi que sur le coffret du label Sacem des meilleurs titres de l’année en 1997. Ma reprise de J’ai 2 amours de Joséphine Baker, en 2000, fait également partie des chansons qui ont été bien accueillies et ont contribué à ma reconnaissance internationale », souligne l’artiste.
La naissance de Cinekita
Mais après plusieurs années dans la musique, Madéka ressent le besoin d’explorer d’autres formes d’expression artistique. La voie qui l’attire est celle de l’audiovisuel. Lorsque nous cherchons à découvrir la raison, elle nous répond que cela est dû à sa capacité à raconter des histoires de manière visuelle et sonore.
« J’ai fondé Cinekita en 1996 à Paris pour offrir des services de doublage et de post-production de haute qualité, avec l’objectif de valoriser l’excellence et l’innovation. Au début, c’était une très petite entreprise, presque familiale. Je travaillais depuis ma salle de bain ! Mais nous avons réussi à grandir l’espace de travail, passant d’un espace de 15 mètres carrés à 90 mètres carrés. Aujourd’hui, Cinekita est installée à Puteaux, dans le département 92. »
En 2012, ayant constaté un besoin croissant des producteurs africains qui devaient se rendre en France pour leurs post-productions, il lui a semblé important d’établir Cinekita Côte d’Ivoire pour répondre à cette demande locale et former les jeunes talents africains. Le doublage consiste à remplacer la langue originale d’un film ou d’une série, notamment par celle parlée dans les régions géographiques où l’œuvre est diffusée.
« Revenir en Côte d’Ivoire a été une manière de me reconnecter avec mes racines et de partager mon expérience acquise à l’étranger avec mes compatriotes. C’est aussi toujours un plaisir de retrouver l’énergie et la chaleur de mon pays natal. Face au succès de Cinekita France, il m’a semblé évident de venir partager cette expérience et d’offrir à mes jeunes compatriotes l’opportunité d’appréhender les métiers de l’audiovisuel et du doublage. Il me semble logique de rendre à la patrie qui m’a donné le jour, le savoir-faire que m’a accordé la France », a-t-elle relaté.
Entre autres distinctions, la cheffe d’entreprise est officier de l’ordre du mérite ivoirien, une médaille précieuse à ses yeux, car elle émane de l’État de Côte d’Ivoire. « Je me souviens avoir été tellement émue ce jour-là que je n’ai pas pu prononcer le discours que j’avais préparé. »

Elle emploie aujourd’hui environ 30 personnes de façon permanente et 500 en freelance en tant que comédiens, techniciens et traducteurs. Tous les trois mois, 20 comédiens, hommes et femmes, sont reçus pour des formations afin de répondre aux besoins croissants de la chaîne de production. Et comme tout bâtisseur, elle espère que ses deux fils et ses trois petits-enfants suivront ses pas et contribueront à pérenniser l’entreprise.
Le conseil de Madéka Kouadio-Timmerman à la jeune génération est de rester passionnée et persévérante.
« N’ayez pas peur de suivre vos rêves et de travailler dur pour les réaliser. Que ce soit dans la musique ou tout autre domaine, chaque étape est une opportunité d’apprendre et de grandir.
Croyez en vous, restez authentiques et utilisez vos talents pour inspirer et apporter du changement positif autour de vous. » Même si elle se consacre aujourd’hui à plein temps à la croissance de son entreprise, Madéka n’a pas tourné définitivement le dos à la musique. Bien au contraire, elle poursuit sa première passion avec sa dernière reprise du titre Abidjan de Kéké Kassiry, sorti à l’occasion de la Coupe d’Afrique des nations organisée en Côte d’Ivoire en 2024
DANIELLE SERI
(Stagiaire)