Palais de justice : Quand les chaussures et vêtements sont loués aux usagers (Reportage)

Des chaussures fermées pour les usagers frappés par le règlement. (Ph: Théodore Kouadio)
Des chaussures fermées pour les usagers frappés par le règlement. (Ph: Théodore Kouadio)
Des chaussures fermées pour les usagers frappés par le règlement. (Ph: Théodore Kouadio)

Palais de justice : Quand les chaussures et vêtements sont loués aux usagers (Reportage)

Le 28/04/25 à 10:23
modifié 28/04/25 à 12:17
Pour l'accès aux tribunaux d'Abidjan, le règlement interdit les tenues débrayées. Solution ? des offres de location...
Assis sur un petit tabouret en bois, devant le palais de justice d’Abidjan-Plateau, S. Mamadou s’active à marquer des signes distinctifs sur des chaussures de couleurs blanche et noire en plastique communément appelées «lêkê».

Pour lui, il s’agit de faire la distinction entre les «lêkê» lui appartenant et ceux de ses amis. En tout cas, ce mardi 25 mars 2025, c’était une trentaine de lêkê déjà portés qui étaient exposés en ce lieu.

En fait, les «lêkê» dont il y est question ici sont des atours momentanément prêtés à certains usagers de cette institution judiciaire, moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes.

Autre endroit, autre scène, Yopougon, précisément au Palais de justice non loin du village de Kouté.

Installé dans le parking du palais, aux abords de la voie principale qui part de cet endroit jusqu’au Carrefour Siporex, plusieurs jeunes proposent aux usagers, en plus des "lêkê", des habits. « Nous mettons aussi en location des pantalons, jeans, t-shirts, chemises, blazers, camisoles, jupes », révèle T.S.

Il n’a pas souhaité que son nom soit entièrement dévoilé dans notre article pour des raisons qui lui sont propres. « En tout cas, je ne veux pas attirer l’attention des gens sur moi. Surtout certains membres de ma famille », a-t-il insisté. Avant d’expliquer qu’il entend vivre dans l’anonymat.

La vérité, c’est que ce business est très rentable. « Il faut débourser 500 FCfa pour se procurer une paire de chaussures. La même somme est demandée pour quelques minutes de location d’un habit », explique T.S. Il affirme qu’il fait une recette journalière qui oscille entre 15 000 FCfa et 20 000 FCfa. Alors que le financement de départ n’a pas coûté grand-chose.

« En 2020, quand je débutais j’avais 15 000 FCfa. J’ai pu acquérir 7 chaussures fermées dont 4 en plastique de différentes tailles pour la somme de 7500 FCfa. Avec l’autre partie de l’argent, j’ai acheté des pantalons de différentes tailles aussi et des T-shirts mixtes », se souvient T.S. A cette période, la location était de 200 FCfa l’unité.

Donc la location s'impose alors. (Ph: Théodore Kouadio)
Donc la location s'impose alors. (Ph: Théodore Kouadio)



De ce business, il explique qu’il vit bien aujourd’hui avec sa petite famille. « J’ai une compagne et une fille de 4 ans. Elle est inscrite à la maternelle. C’est avec l’argent de mes locations de chaussures et vêtements que je prends en charge tout le monde », indique-t-il fièrement.

Il compte même développer ses activités à l’intérieur du pays, dans les localités où il y a des tribunaux. « Je suis allé explorer du côté de Grand-Bassam et Aboisso. Mais j’hésite encore ».

Son ami et concurrent, Trazié Albert, lui, dit avoir hérité ce business de son frère aîné. « Après le Bts, je n’arrivais pas à avoir du travail. C’est là que mon grand frère m’a initié. Il m’a même cédé son fonds de commerce quand il a été admis à son concours de la Fonction publique », fait-il savoir.

Il explique aussi qu’il a réussi à mettre un peu d’argent de côté pour s’inscrire et préparer le concours d’entrée à l’École normale supérieure (Ena) d’Abidjan. « Pour moi, c’est un tremplin. Je ne compte pas finir dans ce business. Mais en attendant, je m’occupe avec et je m’en sors très bien », se réjouit M. Trazié.

Ce code vestimentaire des palais de justice

Pour avoir accès aux bureaux et autres salles d’audiences des palais de justice, il faut montrer patte blanche.

En tout cas, les usagers de ces lieux où l’on va pour se faire établir des actes de justice, tels que le certificat de nationalité, le casier judiciaire, etc., ne doivent pas avoir de ‘’piercing’’ sur le corps ni porter des sandalettes, de mini-jupes, de décolletés, de vêtements déchirés, de culottes, de vêtements à bras minces et de vêtements sans manches.

Une pancarte placardée à l’entrée de tous les palais de justice de Côte d’Ivoire l’indique très bien. Malgré cela, nombre de personnes se font toujours surprendre.

Ce 25 mars-là, venu récupérer un casier judiciaire, un jeune homme, la trentaine révolue, s’est vu refuser l’accès aux locaux du palais de justice du Plateau par les gardes pénitentiaires en faction.

C’est donc avec véhémence qu’il s’est mis à se plaindre de cette situation. « Je viens d’Aboisso pour récupérer ce document. C’est le dernier sur la liste des dossiers à fournir pour un emploi », vocifère-t-il. Avant de souligner que la date butoir pour déposer ses dossiers était ce jour-là, à 14 heures. « Je suis foutu », continue-t-il de fulminer.

Avec beaucoup de calme et de sang-froid, un garde pénitentiaire lui indique l’affiche qui définit les tenues interdites en ces lieux.

C’est là que le jeune Stéphane G., qui pensait être bien habillé, se rend compte que sa culotte fait partie des vêtements prohibés.

Pris de compassion, le garde lui conseille de voir les jeunes postés de l’autre côté de la voie, avec des grands sachets de couleurs noire et bleue.

Il a finalement pu se tirer d’affaire en se procurant un pantalon à lui prêté à 500 Fcfa pour une quinzaine de minutes. Bien que légèrement plus ample, il a pu accéder au palais de justice pour retirer le précieux document.

Ces vêtements à risque

La location, bien que rendant d’énormes services pose aussi quelquefois des soucis de santé. C’est que, les mêmes vêtements sont portés à plusieurs reprises par différentes personnes sans être lavés. Cela n’est pas sans risques.

Le règlement d'accès au tribunal traduit en images. (Ph: Théodore Kouadio)
Le règlement d'accès au tribunal traduit en images. (Ph: Théodore Kouadio)



Beaucoup d’habits utilisés dans ces business proviennent aussi de la friperie. Ces vêtements importés d’Europe et depuis récemment d’Asie, sont directement utilisés sans passer par la buanderie.

« En ce qui me concerne, du marché de friperie, les vêtements sont mis en location devant le palais de justice », avoue Trazié Albert. Il s’empresse cependant de préciser qu’il n’a jamais eu de retour négatif pour ce qui est des pathologies provoquées par ses vêtements qu’il met en location.

Selon Dr Marcel Kouadio, dermatologue, des germes peuvent exister sur les habits déjà portés et contaminer le nouvel usager.

« Après avoir porté un vêtement emprunté devant un tribunal d’Abidjan, je me suis retrouvée avec de graves démangeaisons du corps, au niveau des avant-bras. J’ai souffert de cela pendant des jours », explique Fanta Traoré. Avant d’indiquer quelle a dû avoir recours à son dermatologue pour mettre fin à cette situation.

Quant à Elvie Kouassi, elle dit avoir été contaminée par la gale, après avoir porté un vêtement de location. « J’avais des démangeaisons au niveau des doigts, des aisselles et des coudes. Les démangeaisons étaient plus intenses le soir et la nuit », se souvient-elle. Avant de révéler qu’elle a même contaminé son fils d’un an et son époux, sans le savoir.

Leur médecin traitant a dû soigner toute la famille, même ceux qui ne donnaient pas encore de signes de la maladie. « Nous avons appliqué une crème sur tout le corps pendant des jours. Le traitement a été efficace », explique Elvie Kouassi.

Les experts en santé soutiennent que les habits provenant de la friperie exposent la personne qui les porte sans les laver auparavant. C’est que ces habits sont traités avec des produits et mis dans les bateaux pour être vendus en Afrique. Des personnes font aussi des réactions aux tissus synthétiques et aux colorants.

Ils soulignent également que des maladies comme la teigne peuvent aussi découlées de cette situation.



Le 28/04/25 à 10:23
modifié 28/04/25 à 12:17