Portrait/Les frères Cissé : Comme deux gouttes d’eau

Au-delà de la ressemblance physique, les frères Cissé ont eu le même itinéraire scolaire, académique et professionnel. (Ph: Dr)
Au-delà de la ressemblance physique, les frères Cissé ont eu le même itinéraire scolaire, académique et professionnel. (Ph: Dr)
Au-delà de la ressemblance physique, les frères Cissé ont eu le même itinéraire scolaire, académique et professionnel. (Ph: Dr)

Portrait/Les frères Cissé : Comme deux gouttes d’eau

Le 13/08/24 à 10:34
modifié 13/08/24 à 11:04
Jumeaux monozygotes, les frères Cissé mènent une vie en duo, depuis leur naissance. Outre la ressemblance physique, ils ont le même itinéraire scolaire, académique et professionnel.
L’un s’appelle Alhassane, l’autre Idriss. Comme Dupond et Dupont, dans « Les aventures de Tintin », les frères Cissé se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Mais contrairement aux célèbres personnages de la bande dessinée, eux ne sont ni fantasques ni sosies. Ce sont des jumeaux monozygotes.

Nés à quelques minutes d’intervalles à la fin du mois d’avril 1954, Alhassane et Idriss partagent une gémellité exceptionnelle qui les unit si profondément qu’en plus de la ressemblance physique, ils ont en partage les cursus scolaires, académiques et professionnels...

À la terrasse d’un café de la commune de Cocody où tous les deux enseignants de Lettres à la retraite, depuis quelques années, ont leurs habitudes, les conversations sont toujours passionnées, joyeuses et de hautes voltiges. Et les tablées voisines dressent souvent les oreilles pour les écouter commenter l’actualité avec une bonne humeur contagieuse.

S’ils sont les principaux animateurs de ces rendez-vous matinaux qui réunit en majorité des universitaires, ceux que leurs proches appellent « les jumeaux », ou encore « les frères Cissé », c’est bien parce qu’ils sont d’un commerce facile et savent tenir leur auditoire en haleine.

« C’étaient des professeurs formidables. Quand ils s’adressaient à leurs étudiants, ils semblaient raconter plus qu’enseigner. C’était par politesse de qui savait beaucoup, mais avait l’élégance de n’en pas faire étalage. Ils se contentaient de livrer à leurs étudiants une quintessence dont on imaginait mal combien de substances premières, ils avaient dû brûler pour nous en offrir la liqueur, l’essence et la crème », se souvient l’un de leurs anciens étudiants, aujourd’hui professeur titulaire des universités.

Tous les matins dans un rituel immuable, depuis plus de 3 décennies, Alhassane et Idriss achètent chacun son exemplaire du quotidien Fraternité Matin, afin de prendre le pouls de l’actualité. Et par déformation professionnelle, décernent des bons ou mauvais points aux auteurs des articles. Lecteurs gourmands, ils ont, à 70 ans, la même vivacité d’esprit que lorsqu’ils étaient étudiants. Curieux de tout, ils sont capables de spéculations sophistiquées sur la littérature, la politique et de déchoir au besoin pour parler de sport ou de faits divers.

« Avec eux, on ne s’ennuie jamais », glisse l’une de leurs amis. Ce qui est impressionnant chez eux, ajoute-t-elle, « c’est qu’ils s’accordent comme des instrumentistes. Et sont en constante symbiose. C’est l’unisson de leur comportement qui est impressionnant. Il y a comme une sorte de télépathie chez eux ; même sans se concerter avant d’agir, ils sont pourtant toujours d’accord et parviennent aux mêmes conclusions. Au point de parler quelquefois d’eux-mêmes à la première personne du pluriel ».

De gauche à droite : Alhassane, l'aîné et Idriss, le cadet. (Ph: Dr)
De gauche à droite : Alhassane, l'aîné et Idriss, le cadet. (Ph: Dr)



Dissemblances

Tous les deux sont hauts de 160 cm, ont la même monture, la même tête lisse, la même démarche alerte, le même style vestimentaire, les mêmes mimiques, le même ton péremptoire dans les discussions, et pourtant...Alhassane et Idriss, benjamins d’une fratrie de huit enfants laissent échapper quelques différences après un long compagnonnage avec eux.

Ces dissemblances portent sur leurs préférences alimentaires et leurs choix littéraires, mais aussi sur le rythme de leurs postures. Idriss est plus vif, remuant ; Alhassane plus tempéré et lent. Paradoxalement, ces dissemblances tendent plus vers une communauté de perceptions et de visions à toute épreuve.

Alhassane, considéré comme l’aîné, bien qu’étant né après son frère (Ndlr : une tradition africaine veut que l’aîné des jumeaux soit celui qui vient en seconde position), a des préférences qui l’inclinent vers Zola, Corneille et Schopenhauer, tandis que ce sont Molière, Rimbaud, Balzac...qui meublent les envies de lecture de son frère Idriss. Enfants, ils ont passé leur temps à se chamailler.

« Nous nous battions souvent. Et n’avions pas conscience d’être identiques. C’est seulement à l’adolescence que nous avons pris conscience de notre gémellité ». Si de la classe de Cp1 à la licence, ils ont eu le même parcours académique, en Maîtrise, ils ont pris des chemins un peu différents. « J’ai opté pour la littérature comparée et mon jumeau a continué en stylistique. Ce sont toujours les Lettres, mais pas la même spécialité », explique Idriss. Et quand Alhassane a enseigné à l’Université d’Abidjan Cocody devenu Félix Houphouët-Boigny, Idriss, lui, a officié à l’École normale supérieure (Ens).

Coups pendables

Comme tous les jumeaux monozygotes, il leur est arrivé de se faire passer l’un pour l’autre. À l’épreuve de saut en hauteur du Bac par exemple, Idriss qui saute mieux que son frère, a franchi la haie pour Alhassane et obtenu les points nécessaires pour son autre. Les examinateurs n’y ont vu que du feu. « Ce n’est pas de la triche, on a profité de notre statut », disent-ils en chœur dans un grand éclat de rire. Une autre fois, raconte Alhassane, il a remplacé Idriss à un séminaire, parce que son jumeau devait obligatoirement se rendre à la préfecture pour régulariser des documents administratifs. « Ce n’est rien de bien méchant », dédouane-t-il.

Des coups pendables donc, mais aussi des situations cocasses qu’ils vivent au quotidien. « Quand j’étais directeur de la scolarité, une fois je suis sorti de mon bureau et j’ai demandé à ma secrétaire si elle n’avait pas vu mon frère jumeau. Elle m’a répondu que si. Il est dans votre bureau, j’y suis allé, mais, point d’Alhassane. En fait, elle m’avait pris pour lui ».

À 70 ans, Alhassane et Idriss écrivent encore à 4 mains la partition de leur vie, une vie menée côte à côte, depuis la naissance. Ils se définissent comme « des jumeaux fusionnels ». Ils se voient tous les jours de la semaine, déjeunent ensemble tous les mardis et vendredis, prennent un pot chaque jeudi et se téléphonent constamment lorsque l’un est en voyage. Et achètent toujours en double exemplaire les livres, les journaux, les vêtements, les chaussures, etc.

Rien n’a mis une pause au duo. Ni l’amour pour leurs épouses et le mariage, ni les enfants, ni l’argent, ni les titres... Rien ! Pas de jalousie, pas de compétition, aucune malice dans cette vie à deux qui coule comme un long fleuve, dont les ressacs, toujours, se brisent sur le roc de leur amour inaltérable l’un pour l’autre. Alhassane et Idriss, ce sont les deux faces d’une même pièce.



Le 13/08/24 à 10:34
modifié 13/08/24 à 11:04