Grâce à lui...
Bien souvent, la rencontre est le fait du hasard. Le hasard qui sait parfois si bien faire les choses. Mais, à en croire Louis Pasteur, le hasard ne favorise que les esprits bien préparés ! Ce hasard a voulu que je fasse la rencontre d’un homme de savoir, un puits de science, un océan de sagesse. De l’or “enveloppé dans un vieux chiffon et jeté sur des ordures entassées dans la rue, pour mieux cacher sa qualité de grand maître et ses vertus de connaisseur” pour reprendre Hampâté-Bâ.
Je lui donnerais tout l’or du monde pour apprendre de lui. Pour plier et casser son être afin d’en sucer la substantifique moelle, en bon cannibale du savoir et de la vérité que je prétends être au sein d’une génération d’une paresse et d’une intolérance qui n’ont d’égales que l’insouciance de leurs maîtres et les inconséquences de leurs aînés. Ces fameux aînés qui, coincés dans les rets de la société de puissance, de jouissance et de nuisance qui est la nôtre, ne savent même plus ce que signifie “être un aîné” ! Le respect des anciens, le droit d’aînesse ont-ils encore un sens aujourd’hui ?
Le gérontocratisme est-il encore un modèle viable dans ce monde où le “vieux”, l’”ancien”, le “père”, censé être une bibliothèque vivante, un secours/recours pour la jeunesse, se comporte envers celle-ci en ennemi et en concurrent, ou comme un caméléon (symbole de l’hypocrisie) ou comme un scorpion (fatal à celui qui le frôle), ou encore comme “l’homme au fagot” de Kaydara. Cet homme inconséquent qui soupèse sa charge et qui, bien que n’arrivant pas à la soulever, la défait pour l’augmenter encore et toujours.
Oui, je sais. Tous les anciens, en Afrique ou ailleurs, ne sont pas forcément des bibliothèques. Il y a des anciens qui irradient de savoir et de dignité. Mais il y a aussi des anciens gâteux, écervelés, déracinés, lubriques, vénaux à qui il vous coûterait énormément de confier votre fiancée, votre secret, votre “charge de boeufs” ! Ils s’empresseraient, prévient le maître Hampâté-Bâ, de confisquer vos biens, de manger vos boeufs avant de vous manger vous-même dans leur sabbat de sorcellerie. Vous aurez remarqué que c’est contre ceux-là, et ceux-là seulement, que les jeunes générations se révoltent. Car ces anciens, ces aînés-là, avides et cupides, ignorants et inutilement méchants, sémillants et outrageusement arrogants, refusent d’assumer la laideur de mon aîné à moi. Une laideur dans laquelle niche la véritable beauté morale et spirituelle.
C’est là toute la différence entre l’être et le paraître. Si vous rencontrez un jour mon aîné à moi, mon maître, son paraître vous éloignera de son être si profond. Vous le connaissez sans le connaître car il est là avec vous, dans le bus, au marché d’Adjamé, dans le woro-woro de Saint-Jean ou dans le mini-car qui rentre tous les soirs à Bassam. Si vous pensez que c’est un ermite octogénaire, vous bottez en touche. Il est vieux, oui ! Mais d’une vieillesse sans âge. Entre mon ancien et moi, ce n’est pas la gérontocratie de l’âge mais la gérontocratie du savoir.
Gloire et honneur à ce maître qui m’a appris que la vie des hommes est régie par des principes d’équilibre, de nécessité ou de convenance. Qui m’a enseigné que « l’oiseau qui est perché sur la branche peut se vanter de savoir ce que la terre porte et non ce qu’elle renferme ». Qui m’a dit un jour que le mal dont on n’a pas conscience est le mal le plus profond.
Qui m’a conseillé de toujours me méfier du chef violent et bagarreur. Qui m’a appris ce proverbe Bété qui dit qu’en toutes choses, « il faut enduire la parole d’huile ».
Qui m’a instruit un jour, au bord de la mer, par ces mots véridiques : « Si tu veux faire comme tout le monde, tu auras les problèmes de tout le monde » ou encore « si tu mets l’argent dans ta tête, l’argent va te diriger. Mets-le dans ta poche » mais aussi « si la viande crue est taboue pour toi, ne te lie pas d’amitié avec la panthère ».
Qui m’a aussi révélé un jour de forte pluie qu’un des signes auxquels on reconnaît les gens manipulés par les mauvais esprits, c’est l’entêtement. Comment, maître, pourrais-je oublier ces instants de profonde logothérapie où j’ai entendu que le meilleur moyen de transformer les gens, c’est par l’exemple et le comportement, non par les slogans ?
Et notre dernière rencontre où nous avons échangé sur l’avenir de notre pays ! Il a observé un long silence avant de me renvoyer à la Sainte bible (Matthieu 9.17) : « On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon, les outres éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues ». Grâce à lui, je crois en l’Afrique et l’Afrique croît en moi.
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