Loi sur la nationalité : La Côte d’Ivoire doit assumer son histoire
La Côte d’Ivoire s’est dotée d’un code de la nationalité plus d’une année après son accession à l’indépendance (loi n° 61-415 du 14 décembre 1961 portant code de la nationalité). A l’origine, le législateur ayant pris la pleine mesure de l’histoire et de la réalité démographique du jeune Etat qui venait de naître et qui n’a pas voulu faire d’option tranchée entre le droit du sol (jus soli) et le droit du sang (jus sanguini) comme un certain nombre d’Etats africains.
Coexistence du droit du sol et du droit du sang
D’abord, pour établir ce que des spécialistes appellent le patrimoine national d’origine, la loi a établi que tous ceux qui sont nés et établis sur le territoire ivoirien avant le 07 août 1960 ont la nationalité ivoirienne à titre de nationalité d’origine, à l’exception notable de ceux qui peuvent se réclamer d’une autre nationalité. L’article 6 de la loi n°61-415 du 14 décembre 1961 portant code de la nationalité laisse envisager cette déduction quand il dit que « Est Ivoirien tout individu né en Côte d’Ivoire sauf si ses deux parents sont étrangers.» La Côte d’Ivoire ayant été parmi les derniers états à accéder à la souveraineté nationale et internationale dans la sous-région, les ressortissants étrangers qui sont venus dans ce pays pour une raison ou une autre ont eu l’opportunité d’être des nationaux de leur pays d’origine. Ceux qui ne l’ont pas fait sont présumés avoir montré leur attachement à leur terre d’accueil.
Le législateur a été encore plus loin dans son esprit d’ouverture pour ceux qui voulaient intégrer la nationalité ivoirienne, en permettant par exemple à l’enfant né en Côte d’Ivoire même de parents étrangers de faire l’option par simple déclaration (acquisition de la nationalité par déclaration). Les bénéficiaires de cette mansuétude de la loi étaient les enfants d’immigrés qui ne veulent pas adopter la nationalité de leurs parents. La même latitude de procédure simplifiée était donnée à la femme mariée à un Ivoirien (acquisition de la nationalité de plein droit).
L’abandon du droit du sol
Dans les années soixante dix, cet élan de générosité du législateur a été mis à mal, notamment par la politique de l’ivoirisation des cadres qui avait cours. Dans le même élan protectionniste, la volonté du Président Houphouët-Boigny d’intégrer la double nationalité dans le droit positif ivoirien s’est heurtée à l’opposition farouche de la pensée dominante de cette époque. Quoique, dans les faits, les leaders politiques jouissaient en sourdine, presque tous de ce privilège. En 1972, toutes les dispositions qui avaient trait au droit du sol ont été abrogées (articles 17, 18, 20, 22, 23 et 28 en son point 4 qui traite lui d’adoption sans condition de stage). Seul le droit du sang a été retenu pour l’attribution de la nationalité d’origine. La faculté d’intégration par simple déclaration a lui aussi sauté par la même occasion. Le bilan que l’on pouvait faire de la période d’ouverture était plutôt pauvre. Ainsi, de l’adoption de la loi en 1961 jusqu’à sa révision en 1972, très peu de bénéficiaires, pour des raisons diverses ont pu jouir de la faculté de l’acquisition de la nationalité ivoirienne par déclaration. C’est ce que rappelle de juste, l’exposé des motifs du projet de loi pendant devant le Parlement, qui veut ouvrir à nouveau cette faculté. Il y est écrit clairement que « les statistiques ont montré que presque aucune des personnes bénéficiaires n’a eu recours à ces procédures spéciales…de 1961 à 1972, les archives du ministère de la Justice n’enregistrent que deux dossiers de pétitionnaires ivoiriens par la voie déclarative. » La conséquence est que des fils d’immigrés qui vivent depuis leur naissance en Côte d’Ivoire et bien qu’ayant la possession d’état d’ivoirien n’ont pu intégrer cette nationalité au moyen de la procédure spéciale. Ceux qui l’ont fait ont dû user de ce que la procédure fastidieuse conduisant à la naturalisation. De fait, tentation de la fraude sur la nationalité dans ce cas devient fatalement irrésistible. L’on retiendra que l’une des causes principales de la crise qui a secoué la Côte d’Ivoire pendant plus de dix ans a été reconnue comme étant le problème identitaire. C’est à cette conclusion que les leaders Ivoiriens réunis à Linas-Marcoussis en janvier 2003 ont aboutie.
Retour partiel du droit du sol
En annexe de l’accord dit de Marcoussis, il a été conclu entre les signataires que le gouvernement de réconciliation nationale « déposera, à titre exceptionnel, dans le délai de six mois, un projet de loi de naturalisation visant à régler de façon simple et accessible des situations aujourd’hui bloquées et renvoyées au droit commun (notamment cas des anciens bénéficiaires des articles 17 à 23 de la loi 61-415 abrogés par la loi 72-852, et des personnes résidant en Côte d’Ivoire avant le 7 août 1960 et n’ayant pas exercé leur droit d’option dans les délais prescrits). Sous le régime de l’ex-Président Laurent Gbagbo, une décision visant à se mettre en conformité avec l’accord de Marcoussis avait été prise. Il s’agit de la Décision n°2005-10/PR du 29 août 2005 relative aux dispositions spéciales en matière de naturalisation, notamment en ses articles 2 et suivants. Mais pour diverses raisons, la décision présidentielle a connu peu ou prou une application effective.
Le projet de loi qui a été adopté en commission le mardi 20 août dernier, à l’initiative du Président de la République, prend à son compte les dispositions de cette décision, notamment l’article 2 du projet de loi. Cet article établissant les bénéficiaires de la loi. Il s’agit de :
« les personnes nées en Côte d’Ivoire de parents étrangers et âgées de moins de vingt et ans révolus à la date du 20 décembre 1961 »
« les personnes ayant leur résidence habituelle sans interruption en Côte d’Ivoire antérieurement au 07 août 1960 et leurs enfants nés en Côte d’Ivoire ;
« les personnes nées en Côte d’Ivoire entre le 20 décembre 1961 et le 25 janvier 1973 de parents étrangers et leurs enfants. »
Pour les cas n’entrant pas dans ces différentes catégories, le projet de loi dit clairement qu’ils sont soumis au droit commun, s’ils veulent avoir la nationalité ivoirienne.
Malgré cette nouvelle opportunité qui est offerte aux personnes visées par le projet de loi qui est devant le Parlement et qui vient de passer le stade de la Commission, on peut toutefois regretter que le législateur ivoirien n’ait pas été plus audacieux dans sa volonté d’ouverture, en optant une fois pour de bon pour le droit du sol, à l’instar de grands pays modernes et d’émigration tels que les Etat unis. Cet Etat fédéral ne s’en porte que mieux par l’apport des bras et intelligences venant de tous les horizons.
Théodore Sinzé