Cocovico: Le cheval de bataille d’une combattante nommée Rosalie Boti

Feue Irié Lou Mézo Rosalie épouse Boti avec R.F. Monckeh
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Cocovico: Le cheval de bataille d’une combattante nommée Rosalie Boti

Angré, commune  de Cocody, dans le quartier appelé huitième tranche. Un jour du mois de janvier 2012. Le marché Cocovico, du nom de la coopérative qui  l’a fondé, grouille comme d’habitude. Les femmes, qui constituent la majorité des usagers du marché, font des réclames et interpellent les clients. Certaines sont  assises ou arrêtées aux abords des étals de vivriers. D’autres sont devant des  box exigus où sont vendus vêtements et chaussures, bijoux fantaisie et autres «sapes» recyclées.

Une pionnière à la tête.

Mais, le marché Cocovico, c’est avant tout une affaire de vivriers. C’est dans ce «fonds de commerce», que la coopérative a trouvé son compte, avec une vraie pionnière à sa tête. Alors, plus que toute autre marchandise, c’est d’abord et avant tout aux produits vivriers, légumes, manioc, banane plantain, igname, patate, arachide, graine de palmier à huile et bien d’autres produits alimentaires que la patronne de Cocovico et ses «majorettes» vendeuses, déroulent le tapis rouge. Alors, tout naturellement, se dégage une odeur de récolte et de cuisine. Quand se ruent sur des étals les femmes de Cocody, venues faire le marché, pour faire la cuisine.

Alors que nous évoluons vers le siège du marché, en nous faufilant entre les étals dans un espace marchand suréquipé, pour rencontrer la lauréate du Prix du journal Le Monde, nous voyons les vendeuses quitter leurs places en courant et s’attrouper. L’objet du rassemblement, c’est Rosalie Botti, «la maman», comme l’appellent affectueusement les femmes du marché. 

Un bain de foule quotidien.

Au marché Cocovico, s’il y a un dieu sur la terre pour ces commerçantes en quête de dignité, c’est bien Rosalie Botti. Adorée et adoubée par les commerçantes, son arrivée quotidienne au marché lui vaut chaque jour un bain de foule. Parmi ces femmes, il y a Djalia Koné, mariée et mère de trois enfants, qui est membre de la coopérative depuis une quinzaine d’année. « Je lui suis très reconnaissante. C’est une femme de grand cœur et qui est beaucoup solidaire à l’égard de toutes ses sœurs qui travaillent avec elles. J’ai compris avec elle que c’est le travail seul qui paie. Je voudrais demander à toutes mes sœurs qui sont sans emploi de nous rejoindre dans la coopérative. Nous ne pouvons pas toujours attendre de nos époux », recommande-t-elle. Avec la vente de la farine de maïs, le cours de son destin est en train de changer.

Au marché Cocovico, il n’y a pas que les femmes. Les hommes, même s’ils sont minoritaires, parce qu’ils ne font pas partie de la coopérative, bénéficient de ses prestations. C’est le cas d’Olamidé Kofi, boucher. « Grâce à la présidente, notre marché a été construit. Aujourd’hui, nous nous sentons bien ici. De l’ancien marché à Aguien jusqu’ici, nous avons fait du chemin et notre situation s’est vraiment améliorée. Nous lui disons merci. Il y a plus de clients ici et cela fait notre bonheur », reconnaît le boucher. En ordre de combat contre la pauvreté, les «amazones» de Rosalie Botti et leurs alliés «barbus» sont «gonflés» à bloc pour renverser le cours de leur vie.

Un destin qui ne finit pas de s’écrire.

Dans la vie ou plutôt dans le triste sort qu’elle inflige aux hommes quand elle n’est pas rose, il y a certains qui la subissent. Et n’osent pas sonner la révolte pour retourner la situation. Ils sont défaitistes et ne croient pas au changement. Telle une pirogue sans piroguier en plein océan quand la météo n’est pas bonne, ils sont livrés à eux-mêmes. Leur seul passé qui est aussi leur avenir, c’est la pauvreté. Savent-ils que parmi les  riches d’aujourd’hui, dans nos contrées et ailleurs, on trouve aussi une grande partie des anciens pauvres? Fatalistes à jamais ? Paumés et maudits à vie ?

Il y a, par contre, d’autres qui, animés par une foi inébranlable, croient dur comme fer, que leur destin n’a pas fini de s’écrire. Et que tout est à faire, pour ne pas dire que tout commence, dès lors qu’on a sa tête qui pense et ses dix doigts qui fonctionnent. Rosalie Boti, la patronne de la Coopérative de commercialisation des produits vivriers de Cocody (Cocovico) et son «bataillon» de militants contre la pauvreté sont de ce registre.

Comme un grand mouvement populaire.

Cette coopérative qu’elle a fondée, il y a quelques années dans la commune de Cocody, est en passe de devenir un grand mouvement populaire de lutte contre la pauvreté. A son palmarès, des chiffres, des actions édifiants et des lauriers : un marché moderne  qui a coûté un milliard et demi de francs et où s’activent 3 mille usagers. Une grande première dans un pays où l’Etat et les mairies sont les seuls investisseurs, dans cette infrastructure de grande portée économique et sociale.

Des distinctions, des médailles et des prix, au plan national et international, Rosalie Boti va les glaner, au nom de Cocovico: chevalier du mérite ivoirien en 2002, Prix de la Fao pour l’effort de paix en 2003 , Prix de la Coalition des femmes leaders de Côte d’Ivoire en 2008, Officier du mérite ivoirien en  2009, Prix de la meilleure femme entrepreneur en 2009, Oscar de l’entrepreneuriat féminin au Bénin en 2009, Trophée du jubilé d’or panafricain de la femme citoyenne de la paix et du progrès en 2010.  

Grande fierté pour une consécration.

Et comme consécration: le Grand prix de la Finance solidaire 2011 décerné par le Journal français Le Monde. Rosalie Botti a reçu ce prix àParis, tous frais pris en charge, le 3 novembre dernier, au siège du célèbre quotidien. « La Cocovico était la seule lauréate africaine, j’étais la seule noire parmi les six personnes qui ont eu des prix. C’est une fierté pour nous et nous savons aujourd’hui que c’est seul le travail paie.  J’en suis heureuse. Ce Prix signifie que notre travail est suivi et apprécié dans le monde entier. Aujourd’hui, il représente une grande satisfaction et pour nous et pour tous ceux qui nous admirent et nous soutiennent. Nous pensons que  nous ne sommes plus dans l’anonymat  (…). J’ai  reçu le prix qui a été accompagné d’argent qui va certainement aider notre coopérative à s’occuper des chambres réservées aux femmes dans notre centre, des enfants de la rue et à faire du social… », confie la lauréate.

Pour en arriver au niveau managérial où elle se trouve aujourd’hui, il a fallu à Rosalie Botti beaucoup de volonté et de détermination. Et pourtant, rien ne la destinait à un tel destin, d’autant qu’elle a abandonné les études précocement. « Je voulais réussir dans les études pour devenir une grande dame de ce pays, quelqu’un de très important. Malheureusement, j’ai dû parcourir ce chemin difficile. Mais je peux dire aujourd’hui que j’y suis parvenue avec toutes ces responsabilités que j’assume », affirme-t-elle non sans fierté.

Désormais parmi l’élite des leaders féminins.

Sans être attendue, Rosalie Boti est aujourd’hui parmi l’élite féminine d’une Côte d’Ivoire où, comme partout en Afrique, les femmes n’ont pas encore fini de mener leur lutte pour l’émancipation. A la Coalition des femmes leaders où elle s’est taillée sa place, aux côtés de ses sœurs avocates, pharmaciennes, chef d’entreprise, juges, maires et autres députés, Rosalie Botti poursuit le «travail de mille générations ».

Justement, c’est parce qu’elle a forcé son destin que la patronne de Cocovico demande aux jeunes ivoiriens d’emprunter sa voie et de renoncer au salariat sous toutes ses formes: « je demande d’abord à mes jeunes sœurs, mes frères et à mes enfants que ce n’est pas seulement la fonction publique qui peut leur donner du travail. Nous venons de sortir d’une grande crise.  Il faut donc que nos enfants pensent à travailler. Qu’ils s’approchent des commerçantes que nous sommes. Nous sommes dans tous les quartiers d’Abidjan. Qu’ils pensent à produire, à commercialiser et à ouvrir des petites entreprises qui pourraient devenir des grandes entreprises plus tard. ». Mais comment entreprendre, commercialiser ou mettre la terre en valeur sans moyens ? Si Cocovico a grandi, la coopérative doit cela à une institution financière, Oikocrédit, qui a cru en elle.

L’Etat doit aider la jeunesse

Rosalie Boti qui a «ferraillé » pour être là où elle se trouve sait ce que vaut l’aide, quand on est à terre. Mère et leader associatif, elle sait qu’une jeunesse en errance est une jeunesse à la fois en danger et dangereuse. Alors, elle appelle l’Etat au secours, en faveur des «sans voix», ceux qu’elle appelle «ses sœurs » et « ses enfants » qui affrontent les dures réalités du chômage : « Je demande à l’Etat ivoirien d’aider ces jeunes. Certains ont de grands diplômes, ils veulent retourner à la terre mais ils ne peuvent pas travailler avec la daba, la machette et même s’ils le pouvaient, ça ne serait pas suffisant. Alors il faut une bonne mécanisation du secteur pour aider ces jeunes. Il faut les aider avec des machines agricoles. J’ai visité les pays tels que le Brésil pour voir comment ce peuple arrive à produire suffisamment de produits alimentaires. Je suis allée bord-champ. J’ai également visité la France, l’Allemagne, en Autriche, au Pays bas. J’ai vu leur production. Elle est mécanisée. L’Etat ivoirien doit aider ces jeunes dans ce sens avec un fonds d’appui pour le secteur du vivrier. C’est de cette façon que nous allons occuper nos jeunes dans tout le pays au lieu qu’ils attendent indéfiniment de l’emploi de la fonction publique. Ainsi, avec une bonne mécanisation, la Côte d’ivoire va produire assez. Cela va diminuer le nombre de chômeurs et le panier de la ménagère se remplira à moindre coût. », plaide la présidente de Cocovico.

Non au bonheur solitaire

Rosalie Boti et Cocovico veulent remplir le grenier ivoirien, après avoir fait le plein de médailles et de distinctions honorifiques. Ayant les pieds sur terre, les militantes de Cocovico, avec leur leader, ne veulent pas cependant aller seules au «paradis» du bien-être.  Un grand homme a dit  que «nul n’a le droit d’être heureux tout seul». Des emplois et des revenus accrus pour tout le monde, n’est-ce pas l’idéal économique et social à rechercher ? Cocovico et Rosalie Botti l’ont compris depuis longtemps déjà. En recrutant toujours plus de «guerriers» marchands ? Qui  bossent dur depuis le bord-champ jusqu’aux étals des marchés d’Abidjan, pour enrayer la maudite carte de la pauvreté…et de la faim.

René-François Monckeh