Show-biz : Il y a 5 ans, Amédée Pierre déposait le micro!
Show-biz: Il y a 5 ans, Amédée Pierre déposait le micro!
Le 30 octobre 2011, s’en allait, à jamais, le « Rossignol » et le doyen de la musique ivoirienne. Témoignages croisés de son biographe, René Babi et d’un critique, Marcel Mamadou Traoré.
Une semaine après la commémoration du 5e anniversaire de la disparition d’Amédée Pierre, il importe de revenir sur la vie et l’œuvre de celui qui aura porté sur les fonts baptismaux la musique ivoirienne moderne. Tout en s’érigeant, plus d’un demi-siècle durant, comme en étant l’ombre tutélaire.
René Babi, cadre ivoirien du tourisme, opérateur culturel, fan mais surtout biographe (2010) dans un ouvrage fondateur paru chez L’Harmattan, revient, dans un témoignage croisé avec Marcel Mamadou Traoré, un autre sachant, sur la portée sociétale, anthropologique et historique de l’œuvre du doyen de la musique ivoirienne.
René Babi commente : « Compositeur prolixe, chanteur à la voix de rossignol (en bété, « Dopé »), poète lyrique engagé, philosophe et historien, Amédée Pierre a été un artiste-musicien à la forte personnalité musicale marquante. Il n’a laissé personne indifférent au cours de sa longue carrière de 50 ans ».
A l’occasion de ce triste anniversaire de son rappel à Dieu, Marcel Mamadou Traoré, professeur de lettres en France, a fait parvenir un article-témoignage-inédit sur celui dont il fut « manager occasionnel » de 1973 à 1974. Son article s’intitule: « Musique destinale chez Amédée Pierre ». Il y écrit, un brin nostalgique mais déclinant avec emphase poétique ô combien l’artiste a rompu les amarres avec un quotidien musical sans relief au plan national. Avec à la clé, la perception quasi-sacrée que la conscience collective accorda au talent d’Amédée Pierre.
M. Traoré confie : « C’était en avril 1973, Amédée Pierre avait le vent en poupe, avec « Bêta Kossou », « Mami Wata », « Guédé Zaïna » et « Létié Bhéa ». Et l’on sentait qu’il vivait dans une certaine exaltation intérieure poétique. Or, soudain, surgit dans l’entourage de l’artiste une rumeur selon laquelle Amédée Pierre tenait son génie d’un chat noir, lequel vivait en liberté dans la cour familiale. Était-ce pour discréditer l’artiste ou l’entourer d’un mystère ? Toujours est-il qu’un beau matin, le chat noir disparut sans laisser de traces ni prévenir personne. On a vite fait d’accuser une certaine dame d’avoir, je ne sais par quel moyen, fait disparaître ce représentant du génie d’Amédée ».
Car, pour l’imagerie populaire de l’époque, un tel prodige ne pouvait s’expliquer que par un sortilège. On monta donc toute une cabale contre cette pauvre dame qui ne savait plus à quel saint se vouer. Et l’auteur de poursuivre: « En apprenant cela, Amédée entre dans une violente indignation, furieux qu’on attribua à son génie musical la patte d’un chat, fût-il noir. Comme cette dame, que je ne voudrais nommer, n’avait pas tellement la faveur de notre entourage, elle me demanda cependant une médiation auprès d’Amédée. C’est ainsi qu’un samedi d’avril 1973, en revenant de la semaine commerciale à Treichville, je pris le risque de l’entretenir de ma démarche ».
Entre des remontées de colère d’un batailleur-né et parfois les yeux perdus dans la vague, des moments d’intense médiation, Amédée expliqua à peu près ce qui suit à Marcel Mamadou Traoré, selon ses écrits.
Dimensions mystiques et ancestrales de la musique
« Nous les humains et nos cousins, les bêtes, sommes sortis du halo verbal du souverain créateur. Je veux dire que chaque prototype de la création est sorti du halo de la parole divine au moment de sa création. Et chacun, se souvenant de la voie divine, s’est efforcé de transmettre ce halo de la parole divine à sa progéniture en respectant et en imitant un rythme, une cadence spécifique destinés à chaque espèce. Et lorsque nous nous exprimons, que nous chantions ou que nous dansions, nous essayons de reproduire cet héritage verbal; les espèces animales poussent des cris plus ou moins harmonieux, et c’est toujours les mêmes, de siècle en siècle. Mais nous les humains, nous parlons, nous chantons, selon notre langage ethnique, comme si à chaque fois nous imitons le poussin qui sort de sa coquille.
Le poète ou le musicien est celui qui se rapproche le plus, dans l’imitation, de cette parole créatrice destinée à son peuple, léguée par son ancêtre éponyme. Il essaye d’en atteindre la perfection mélodique et rythmique en recevant et en retrouvant en son être l’écho de cette parole fœtale. Et c’est ce que je fais quand je chante en esquissant des pas de danse. Figure-toi que je ne vais pas le faire en français ou en anglais, dans des langues qui me sont étrangères, et sont étrangères à nous Africains. Les représentants de ces langues qui dominent le monde et conditionnent nos conduites selon leur bon vouloir. Donc, il me faut nécessairement chanter en bété, que cette langue soit belle ou pas. C’est elle qui me porte dans sa bulle, qui explique ma façon d’être, de penser, de bouger, de marcher, de danser, d’être élégant, selon mon groupe ethnique. Et chaque fois que je chante, chaque Bété reçoit en résonance, l’écho rythmique de cette parole destinale lors de la création de notre ancêtre. Dis-moi, petit frère, où vois-tu un chat dans cette affaire ? »
En revanche, écrit Marcel Mamadou Traoré, pour Amédée Pierre, « Un artiste, surtout le musicien que je suis, n’est jamais un être tranquille. Il est souvent habité par un être critique qui le tient à l’œil. Pour ma part, je me sens mentalement toisé en permanence par une certaine dame, soit déesse, soit démon, à tout le moins une dame d’une beauté étonnante. Femme paradoxale, aussi belle que sévère, aussi sévère que belle. Cette femme porte un regard critique sur moi, sur mes compositions musicales. Quoique je fasse, en musique, elle est toujours là, imperturbable, critiquant tel ou tel aspect du texte ou de la mélodie, de sorte que je suis obligé de reprendre mes chansons, de les travailler, mais jamais de les refondre dans d’autres œuvres. Car en fait, aucune de mes œuvres n’est un acte gratuit. Elle est l’effet d’une inspiration, c'est-à-dire le rappel de cette parole à l’origine de la création de nos ancêtres, parole dont il ne nous reste que des bribes mélodiques et rythmiques. Et cela, dans ma conscience, sous la férule de cette dame… ».
Livrant ses impressions personnelles sur l’icône dont il exalte le souvenir, plus de cinq années après sa mort, mais avec une œuvre d’une actualité quotidienne, celui qui l’a connu et côtoyé, affirme que chez les poètes, on remarque que la poésie, c’est l’élégance, c’est la qualité des mots qui interagissent les uns par rapport aux autres dans une rythmique; quand cette rythmique devient un jeu, cela fait appel à l’intelligence du cœur. Chez Amédée Pierre, la poésie est d’abord la première description d’un type humain, en général le bété; description d’un type dans la dynamique de la danse, une danse d’abord traditionnelle, et qui évolue dans la modernité sans qu’il n’y ait de vraie rupture, mais une continuité tradi-moderniste. Amédée peint par des notes musicales l’élégance du type bété.
Dans la même veine, René Babi, argue que la poésie dans les mots, chez Amédée, est le descriptif de la truculence de l’homme de son ethnie. Et préciser sa pensée: « Ceux qui parlent cette langue, retrouvent ce phénomène: ce bruit qui annonce la tornade et les effets de celle-ci devient la tornade, comme la phraséologie d’Amédée traduit l’Homme bété. C’est aussi cela, la poésie chez Amédée Pierre. Les mots, la phrase, sont comme des coups portés sur la peau du tambour qui accompagne des notes intimes de la guitare. Guitariste et batteur, il fait des coups de battement qu’il faut pour exprimer tout le cœur humain. En cela, Amédée Pierre est un percussionniste de grand talent de la musique ivoirienne dont il a été l’un des plus défenseurs ».
Par ailleurs, confie son biographe, il a réussi à décomplexer les jeunes artistes musiciens ivoiriens qui l’ont suivi dans le métier, à chanter, comme lui, dans leurs langues maternelles et à promouvoir les rythmes des danses de nos terroirs.
De la révolte au…Burida…
Pour tout couronner, faut-il le rappeler, Amédée Pierre est à l’origine de la création du Bureau ivoirien du droit d’auteur (Burida) en 1980, suite à sa grève de la chanson, en mars 1975. Pendant 3 mois, avec les conséquences financières que cela impliquaient pour lui-même et pour les musiciens de son orchestre.
Selon René Babi, « l’aboutissement heureux de cette saute d’humeur, il le doit à l’oreille attentive d’un père, le Président Félix Houphouët-Boigny qui, ayant compris les raisons du comportement de cet artiste adulé par le public, actionna les leviers nécessaires pour la création de l’instrument de défense des droits des artistes de Côte d’Ivoire, en saisissant le ministre de la Culture et le Président de l’Assemblée nationale. Et, en 1980, une loi fut votée autorisant la création de cet instrument juridique de la protection des droits des artistes. Un tel homme est un grand Baobab pour la corporation des artistes de Côte d’Ivoire. Elle devrait chercher à le rendre immortel, par tous actes qu’elle estimera appropriés ».
Né le 30 mars 1937, à Patahidié non loin de Tabou (à la frontière ivoiro-libérienne) en pays Krou, Amédée Pierre a tiré sa révérence, le dimanche 30 octobre 2011, à Abidjan-Treichville. Treichville où, en tant qu’artiste et entrepreneur culturel il fonda le Dopé Bar où il se produisait avec l’Ivoiro Star, son orchestre. Il laisse une discographie fort prolixe, de la période d’une colonisation finissante aux années 2000.
REMI COULIBALY
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