Rachel Kéké, ancienne députée française : "J’ai été sans-papiers en France"

Rachel Kéké va faire une tournée avec son livre en Côte d’Ivoire. (Ph: Julien Monsan)
Rachel Kéké va faire une tournée avec son livre en Côte d’Ivoire. (Ph: Julien Monsan)
Rachel Kéké va faire une tournée avec son livre en Côte d’Ivoire. (Ph: Julien Monsan)

Rachel Kéké, ancienne députée française : "J’ai été sans-papiers en France"

Le 11/09/24 à 12:16
modifié 11/09/24 à 12:58
Cette femme issue d'un milieu défavorisé, devenue députée en France, veut que sa vie soit une source de motivation.
Vous êtes ivoirienne, vous êtes née à Abobo en 1974, et vivez en France depuis 2000, comment avez-vous réussi votre intégration dans ce pays ?
Je suis arrivée en France sans papiers. Quand ma situation a été régularisée, j’ai commencé à travailler. Mais j’ai en fait compris le système de la France quand j’ai connu les syndicats.

Comment êtes-vous parvenue à vous faire accepter dans le milieu syndical ?
Quand des syndicalistes sont arrivés dans l’hôtel où nous travaillions, ils nous ont dit, « nous sommes là pour vous syndiquer. Si vous vous syndiquez et que si vous êtes mal payés, mal traités, nous sommes là pour vous protéger ». C’est ainsi que j’ai commencé à comprendre, à discuter avec eux, à chercher à savoir ce que le terme syndicat signifie et quel est son impact. Quand ils m’ont donné l’explication, j’ai pris la décision de me syndiquer, et j’ai commencé à assister à des réunions, à comprendre comment cela fonctionne. Tout est parti de là.

Vous étiez à la tête d'un groupe de femmes de chambre pour avoir de meilleures conditions de travail, et une hausse salariale. Quels sont les arguments que vous avez invoqués pour avoir leur confiance et être leur déléguée ?
Nous étions mal payées. Nous arrivions à 8h30, nous n’avions pas droit au repas. Nous n’avions même pas le temps de manger. Nous finissions le travail entre 16h et 18H. Avec toute cette souffrance, il était facile de faire prendre conscience aux femmes que nous sommes exploitées, et qu’il fallait entrer en grève. A l’hôtel dans lequel nous travaillions, les femmes étaient déjà favorables au soutien des syndicats. Elles savent que le syndicat est là pour les protéger. Nous étions en train de souffrir. Mes collègues Sylvie, Traoré Aboubacar et moi n'avons fait que traduire cette souffrance par des mots pour les convaincre pour que nous puissions entrer en grève afin de sortir de cette situation.

Comment êtes-vous arrivée à avoir avec vous 34 femmes sur une soixantaine d’employées, alors que ce n’est pas facile de convaincre dans des conditions pareilles?
J’y suis arrivée, parce que nous étions toutes des immigrées, des Noires et des Arabes. Il n’y avait pas de Françaises parmi nous. Nous étions de différentes nationalités : sénégalaise, mauritanienne, congolaise, malienne. Elles m’ont suivi parce qu’elles savaient que ce que je disais était vrai. Elles voyaient que je les soutenais, je les défendais, elles ont eu confiance en moi et m’ont suivie.

Votre niveau Cm2 n’a pas été un obstacle pour vous ?

Non, cela n’a pas été un obstacle du fait qu’en Côte d’Ivoire nous parlons le français, cela ne m’a pas mise dans une coquille, pour dire comme j’ai un niveau Cm2, je ne peux pas y arriver. Il faut affronter les choses, dire ce qu’on a envie de dire même si tu t’exprimes mal en français, ce n’est pas grave, il faut exprimer sa pensée. Non, mon niveau ne m’a pas vraiment freinée.

Vous êtes l’idole de certaines personnes instruites. Une de vos admiratrices a dit que, finalement, pour réussir le niveau d'études n’a pas d’importance ?
Il faut de la détermination, il faut avoir confiance en soi. Il faut se demander si en menant l’action, on peut avoir gain de cause. Il faut se dire qu’on ne va pas perdre en fait. Oui, parce que la grève que nous avons faite dans un premier hôtel a conduit certaines femmes à se décourager car se disant que nous n’allions pas y arriver. Ça a été long, 22 mois. Elles me demandaient si nous allions gagner le combat, et je leur disais oui. Dans un combat, quand on est déterminé, on y arrive.

Comment est née chez vous l’idée de franchir le pas. Passer de l’étape de gouvernante à celle de députée ?
Au moment où nous faisions la grève, les députés de La France Insoumise venaient sur notre piquet de grève pour nous soutenir. Je les voyais aussi au journal télévisé parler de notre grève. J'ai donc conclu que ce qui nous arrive, c’est de la politique. J’ai donc décidé après notre victoire d’adhérer à La France Insoumise et de faire le combat avec eux. J’ai donc adhéré à ce groupe, et commencé à suivre les réunions à 20h. Tout le monde me connaissait parce qu’ils avaient suivi nos luttes. Il y a ensuite eu l'élection présidentielle, durant laquelle, La France Insoumise m’a demandé de faire campagne pour Jean-Luc Mélenchon, vu que la victoire de notre lutte avait pris de l’ampleur. Malheureusement, il n’a pas gagné.

Que s’est-il passé ensuite ?

Le leader de La France Insoumise m’a appelé pour savoir si je voulais être candidate aux législatives. Tout de suite, j' ai hésité en pensant à mon niveau d'instruction. Je n’ai pas le Bac plus cinq. Il m’a dit, le plus important, ce n’est pas le Bac plus cinq, mais la ténacité que tu as. Le combat que tu as mené. Je sais que tu pourras nous défendre à l’Assemblée nationale.

Florence Tanoh présidente de l'Ong Carrefour de réflexions et d'actions pour l'éducation des filles et des femmes (Craef-Ci) et Rachel Kéké entourées des membres de parti politique et d'organisations féminines et des droits de la femme. (Ph: Julien Monsan)
Florence Tanoh présidente de l'Ong Carrefour de réflexions et d'actions pour l'éducation des filles et des femmes (Craef-Ci) et Rachel Kéké entourées des membres de parti politique et d'organisations féminines et des droits de la femme. (Ph: Julien Monsan)



Vous n’avez pas été victime de racisme ?

Seulement sur les réseaux sociaux. Dans l’hémicycle, non. Les autres partis faisaient beaucoup attention. Sur les réseaux sociaux, les gens venaient m’attaquer, l’extrême droite venait m’attaquer aussi. Sur les réseaux sociaux, ils disaient femme noire, femme de ménage, rentre chez toi, va balayer ! Si c’était en Côte d’Ivoire, aurais tu pu être députée ? J'interprète leurs réactions comme étant l'expression de la jalousie. Je ne répondais pas aux attaques parce que je sais que tout le monde ne peut avoir accès à l’hémicycle. Je sais aussi qu’ils ne peuvent pas mener la moitié du combat que j’ai mené.

Est-ce que vous souhaitez continuer en politique, avec la montée du Front national ?

Il faut que je continue pour le combattre. Il ne faut pas leur laisser le terrain. Je voudrais continuer à faire la politique parce que mon parti est toujours là. La France Insoumise me soutien toujours. Je vais commencer la lutte avec ceux qui ont été élus, je ne vais pas baisser les bras. Beaucoup de personnes souffrent et elles ont besoin de moi.

Vous avez dit aux femmes que pour mener un combat, il faut s’unir, être solidaires.

Mon combat, c'est pour le bien-être des femmes, je soutiens les femmes ivoiriennes. Avec la crise de 2011, elles ont peur. Elles veulent savoir ce qu’il faut faire pour qu’elles aient confiance en elles pour revenir en politique. Je leur ai conseillé de sortir des partis politiques et de se mettre ensemble si elles veulent revenir. Elles peuvent s’organiser, inviter les médias, prendre le palais des sports, pour faire un grand meeting, et parler d’un sujet qu’elles ont en commun. A cette condition, je viendrais. Je vais les sensibiliser et les mobiliser afin qu’elles n’aient pas peur. Nous allons poser cette première action et après nous verrons.

Un livre témoignage de Bessora et Rachel Kéké intitulé : « Cette rage dans mon cœur. Les combats d’une députée pas comme les autres » a été publié, le 18 avril 2024.
Le livre parle de mon parcours. D’Abobo, où j’ai grandi, là où je suis allée à l’école, et de l’endroit d’où je suis allée en France, mon parcours en France, et comment j’ai travaillé, comment j’ai mené la lutte, et suis arrivée ensuite à être députée.

Vous avez l’intention de revenir au cours d’un rassemblement pour faire la dédicace...

J’ai envie de faire la dédicace à l’Université avec les étudiants, surtout les jeunes. Ils ont abandonné la lutte ? Ils ne croient plus en rien du tout. Ils sont dans la rue parce qu’ils sont désespérés. Je vais faire la tournée de mon livre en Côte d’Ivoire. Vendre ce livre aux femmes, pour qu’elles l’offrent à leurs enfants afin qu’ils puissent lire mon histoire, cela va leur donner de l’espoir. C’est bon de parler mais le livre porte mieux.

Quels conseils allez-vous donner aux étudiants ?
Je vais leur demander de ne pas désespérer. De ne pas penser qu’il n’y a rien en Côte d’Ivoire de sorte qu’ils pensent qu' il faut prendre le bateau pour aller mourir en mer.

Bien que vous soyez issue d’un milieu défavorisé cela n’a pas freiné votre ambition ?
Au contraire, j’ai eu la force de sortir de là où je suis. J’ai compris qu’avec ma voix qui porte, je pouvais exploiter cela pour aller de l’avant. Même quand j’étais femme de chambre durant 15ans, avant d’être gouvernante, cela a été un combat. Je ne voulais pas être femme de chambre à vie. Je voulais monter en grade, j’ai lutté pour être gouvernante.

Vous êtes désormais une héroïne, vous voulez faire des tournées en Afrique sur invitation pour parler de votre expérience.

Je suis sollicitée. Je devrais aller au Congo, au Mali, au Sénégal également si j’étais élue. Mais je vais faire cette tournée. Attendre l’année prochaine.


Le 11/09/24 à 12:16
modifié 11/09/24 à 12:58