Médard Asseman Koua, Dg du Pnsm : "Celui qui veut se donner la mort n’est pas un faiblard"

Médard Asseman Koua, directeur-coordonnateur du Programme national de santé mentale (Pnsm). (Ph: Dr)
Médard Asseman Koua, directeur-coordonnateur du Programme national de santé mentale (Pnsm). (Ph: Dr)
Médard Asseman Koua, directeur-coordonnateur du Programme national de santé mentale (Pnsm). (Ph: Dr)

Médard Asseman Koua, Dg du Pnsm : "Celui qui veut se donner la mort n’est pas un faiblard"

Le 12/09/24 à 15:52
modifié 12/09/24 à 15:52
Le directeur-coordonnateur du Programme national de santé mentale (Pnsm) s'est confié à Fraternité Matin à l'occasion de la 22e Journée mondiale de prévention du suicide, célébrée le 10 septembre dernier.
Qu’est-ce qui peut pousser un être humain à se suicider, comme on le voit ces derniers temps ?
Il faut savoir, de prime abord, que tout décès par suicide est un problème de santé. Généralement, on connaît les problèmes de santé physique, mais on connaît moins les problèmes de santé mentale. Lorsqu’on on est dans le cadre des problèmes de santé mentale, on peut identifier essentiellement trois facteurs de risque. Et là, on ne parle pas de causes. Le premier facteur est lié à l’individu. Il s’agit de sa fragilité. Cette fragilité peut découler de sa personnalité ou du fonctionnement de son cerveau. Le deuxième facteur de risque, c’est l’environnement social ou familial dans lequel la personne évolue. Le troisième facteur de risque est génétique ou biologique.

Ces facteurs de risque, mis ensemble en fonction de certaines situations, vont augmenter le risque de grande souffrance psychologique. Et lorsque la souffrance psychologique devient incontrôlable, on voit apparaître des idées suicidaires. Qui vont se fixer dans l’esprit de la personne, puis devenir réalité toujours dans son esprit. L’individu va finalement passer à l’acte par un plan mûri ou par des tentatives.

Comment reconnaît-on un individu qui a des tendances suicidaires ?

Le premier élément, c’est déjà par le discours. Quelqu’un peut venir vous voir. Il peut être un journaliste, un footballeur, un élève, un parent d’élève, etc. Il va vous dire, « cher ami, je n’en peux plus. Je ne sais plus où mettre la tête. J’ai trop de problèmes. Si je pouvais dormir et ne plus me réveiller ». Ce discours est un signe majeur, révélateur d’un grand malaise. C’est un indice de souffrance psychologique. Le fait de dire « j’ai envie de me donner la mort » doit nous alerter.

Comment prévient-on un suicide ?

La prévention du suicide passe d’emblée par la reconnaissance et le décèlement des idées suicidaires. C’est sur la base de ce qu’on a noté qu’on peut apporter un soutien familial, un soutien à l’école, un soutien d’amis. Il peut aussi s’agir d’un soutien de l’église, à travers des prières. A un autre niveau, on a recours au soutien psychologique spécialisé. Il permet de diminuer le niveau de grande souffrance psychologique, puis de traiter un problème de santé mentale en rapport avec la dépression.

On parle de pendaison, de défenestration, de prise en surdose de médicaments, etc. Quel est le type de suicide le plus répandu en Côte d’Ivoire ?

Tous les moyens sont utilisés pour le suicide. Il y a juste des moyens qui sont plus médiatisés, et d’autres qui le sont moins. Sinon tout concourt au suicide. En milieu rural, par exemple, beaucoup de paysans utilisent malheureusement des produits chimiques, tels que les engrais, les herbicides, les fongicides, les insecticides et les acaricides pour se donner la mort.

Dans quel corps social ou de métier se suicide-t-on le plus ?

Ce qu’on sait, il y a autant de suicides en milieu urbain qu’en milieu rural. Il y a autant de tentatives de suicide en milieu scolaire qu’en milieu professionnel. Mais, ce qu’il faut savoir, c’est que les jeunes ou les adolescents sont plus sujets à des tentatives de suicide. Toutefois, les suicides sont plus nombreux chez les adultes.

Les causes de suicide diffèrent-elles en fonction de l’âge ?

Oui. Le dénominateur commun, c’est la grande souffrance psychologique. Mais ce qui peut précipiter le suicide, c’est le contexte. Il y a le contexte scolaire. Mais l’école ne rend pas plus suicidaire que le milieu rural. L’étudiant, dans son milieu de vie, peut être perturbé par des problèmes familiaux ou par des problèmes personnels. Le ‘‘goumin’’ (déception amoureuse dans le jargon ivoirien : ndlr) est, par exemple, un facteur qui peut fragiliser l’état psychologique de quelqu’un.

Quel est concrètement le rôle du Programme national de santé mentale dans le combat contre le suicide en Côte d’Ivoire ?

Le rôle du Pnsm est de promouvoir toutes les actions qui vont permettre aux populations de comprendre qu’il existe des ressources, des informations, des dispositifs pour aider lorsqu’on est dans une grande détresse psychologique. Deuxio, nous faisons la promotion du bien-être. Comment aider les gens à prendre soin de leur santé mentale. Troisième élément, lorsque vous constatez que quelqu’un a un problème de santé mentale, nous sommes la structure vers qui il faut l’orienter pour bénéficier de soins.

Un mot sur les chiffres du suicide en Côte d’Ivoire...

Les chiffres ont été communiqués à la cérémonie commémorative nationale de la 22e Journée mondiale de prévention du suicide (Jmps), le mardi 10 septembre. Une étude réalisée par le ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle révèle que, de 2019 à 2021, il y a eu autour de 420 suicides dans notre pays. En ce qui concerne les tentatives de suicide, elles se situent autour de 950.

Je tiens à dire aux Ivoiriens que le suicide est évitable. Il n’est pas une fatalité. Et puis, celui qui parle de la mort, qui veut se donner la mort n’est pas un faiblard. Il n’est pas possédé. Ce n’est pas quelqu’un qui n’a rien à faire de sa vie. C’est plutôt le résultat d’une grande souffrance, qui n’a pas été suffisamment écoutée, qui n’a pas été précocement identifiée, et qui devient incontrôlable chez le sujet qui vit cette expérience douloureuse. J’invite nos communautés, nos proches, nos familles à être plus attentifs à la situation de souffrance psychologique du prochain. Chacun peut faire un geste. Et le geste de cette Jmps, c’est de retenir ce numéro d’appel, le 143.

L’État met-il suffisamment de moyens à votre disposition ?

Les moyens sont là. Mais ils ne sont pas toujours suffisants. C’est pourquoi, nous appelons à la mobilisation des partenaires et des élus locaux. Nous souhaitons un engagement des collectivités décentralisées. Nous leur demandons de s’investir dans la prévention des suicides.

Une enquête est lancée dans la foulée de la Jmps 2024. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’une enquête sur la prévalence des problèmes de santé mentale dans le Grand Abidjan. Le Grand Abidjan étant à l’image de toute la Côte d’Ivoire. L’enjeu est de toucher du doigt les réalités de la santé mentale. Qu’est-ce que la population sait, ce qu’elle ne sait pas. A qui les gens ont recours quand ils ont un problème de santé mentale. L’enquête va durer un mois. Après une formation de deux jours, les enquêteurs, au nombre de 45, seront déployés sur le terrain probablement à compter du lundi 16 septembre. Ils vont visiter des familles dans toutes les communes cibles pour interroger environ 1800 personnes.

interview réalisée par


Le 12/09/24 à 15:52
modifié 12/09/24 à 15:52