LA POLYGAMIE A L’ÉPREUVE DES RÉALITÉS ACTUELLES
La monogamie a, alors été imposée comme la seule option matrimoniale. Cela, bien que la forte majorité des Ivoiriens vivent sous un régime polygamique.
On pourrait comprendre que nos dirigeants d’alors voulaient établir une sorte de coercition juridique qui obligerait les générations à venir à être monogames. Plus d’un demi-siècle plus tard, la polygamie a toujours pignon sur rue. Mieux, après avoir été endiguée pour un moment, elle étend ses tentacules à toutes les strates de la société. Et c’est avec les citadins et intellectuels, pourtant taillés pour la rejeter, qu’elle retrouve une visibilité et une légitimité sociales. Que peut-on donc en dire ?
Premièrement, ce regain de pratique polygamique démontre bien que les lois, pour garantir leur meilleure application, doivent s’adosser à une pratique sociale existante qui les légitime. Sans cela, les populations verront en elles, des incongruités imposées par d’autres et y opposeront toujours une inertie sociale. Dans ce cadre, il ne serait pas erroné de prédire que l’oraison funèbre de l’actuelle loi sur la famille sera dite sous peu.
Deuxièmement, cette résistance féroce de la polygamie pose en toile de fond, le type de modernité pour lequel opteront les Africains. Est-ce une modernité prêt-à-porter importée de l’extérieur ? Ou plutôt, une modernité issue d’une évolution régulière, adossée aux valeurs sociétales et sociales africaines ? Cette dernière éventualité est la plus souhaitable. Mais elle ne sera point le fruit d’un hasard de l’histoire. Elle sera la réalisation d’une vision pensée, voulue et stratégiquement mise en œuvre. Pour ce faire, la contribution de tous sera demandée, sans aucun complexe. Faut-il le préciser, même si le politique semble peu intéressé par un tel projet de transformation sociétale, il n’en demeure moins pas que sa réalisation peut être effective. Car, ce projet relève plus de la volonté et du génie des intellectuels et des artistes de toutes disciplines.
Troisièmement, il serait erroné de toujours associer la problématique de la polygamie à l’islam. Dans le cas de l’Afrique, sa pratique est antérieure à l’arrivée de l’islam. À preuve, elle est d’usage dans les sociétés africaines non islamisées. Ne serait-ce que pour des raisons économiques qui exigeaient une famille nombreuse. D’ailleurs, dans l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, loin des hypocrisies de convenance usuelles, un ancien président de la République, non musulman, s’est marié au vu et au su de tous à deux femmes. C’est dire que la polygamie n’est pas un fait social relevant exclusivement de considérations d’ordre religieux.
Quatrièmement, les mutations contemporaines obligent les jeunes à voir dans le mariage, une contrainte sociale difficile à supporter, sans moyens financiers consistants. Concernant les jeunes filles, plusieurs raisons l’expliquent. Entre autres, on pourrait citer la volonté d’obtenir un diplôme, gage d’une insertion sociale plus ou moins garantie. Mais en même temps, une femme diplômée et socialement bien installée, ça fait peur à l’homme. Car, aux yeux de nombreux hommes, «avec elle, la maison se transforme en un parlement ». Or, la nature masculine a besoin d’un giron familial moins grincheux, un cocon de velours. Plusieurs femmes se retrouvent ainsi, en difficulté de se trouver un prince charmant, prêt à l’aventure conjugale avec elle. Du coup, lasses d’attendre, dans un contexte africain encore attaché à n’accorder un statut respectable qu’à une femme dans un foyer, la polygamie devient pour beaucoup, la seule option faisant d’elles Madame…
C’est vrai, au nom d’une certaine émancipation, beaucoup de femmes dites modernes n’en ont cure. À ce propos, le chanteur Fela Kuti, connu pour ses frasques conjugales pour avoir marié ses dizaines de choristes et les avoir toutes divorcées peu de temps après, a dit : « j’ai divorcé avec le mariage ». Toutefois, la position de cet iconoclaste ne devrait être la règle. À preuve, ses héritiers de fils que sont Femi Kuti et Seun Kuti ne l’ont pas suivi dans ce domaine.
Cinquièmement, cette résistance de la polygamie oblige les féministes de tous bords à revoir leurs agendas. Il ne faut pas se tromper de combat. Il est sans conteste que les droits de la femme doivent être respectés. Sur ce point, il n’y a pas de débat à refaire. Cependant, la question qui se pose est de ne pas importer des modèles sociétaux et de faire de leur imposition un agenda de travail. Dans toutes pratiques, il y a l’envers et le revers de la médaille. Si de nombreuses femmes y trouvent leur épanouissement, pourquoi s’y attaquer inutilement. Il faut seulement travailler à accompagner la pratique par la sensibilisation et la formation. Surtout, en ce qui concerne les relations dans le couple, la santé de la femme, l’autonomisation de la famille et l’éducation des enfants.
Sixièmement, le problème posé par le présent sujet reste la question de la famille. Ce cadre social et légitime qui permet de construire l’individu-citoyen en lui y transmettant les valeurs de la vie. Sans cela, cet individu-citoyen risque d’être un ennemi pour l’ordre et l’équilibre social. Le profil des grands délinquants et tueurs en série l’illustrent assez bien. C’est pourquoi, intégrer l’option de la polygamie dans notre code social, sera une avancée législative notable. Ce faisant, l’État aura respecté le droit des Ivoiriens à leur épanouissement, bien inscrit dans la Constitution de la Côte d’Ivoire. La balle est donc dans le camp du ministère en charge de la famille ou de nos députés.
NURUDINE OYEWOLE
Expert-consultant en communication