Portraits croisés d’Houphouët-Boigny et de Ouattara

Portraits croisés d’Houphouët-Boigny et de Ouattara

Portraits croisés d’Houphouët-Boigny et de Ouattara

Successivement et de différentes manières, plusieurs leaders politiques ou militaires  aux personnalités et aux  tempéraments  différents ont dirigé la Côte d’Ivoire: d’ Houphouët-Boigny, le premier,  à Alassane  Ouattara, l’actuel Chef de l’Etat.  Justement, c’est à eux que nous  nous intéresserons pour mettre en lumière leur vision de la politique,  leur engagement et les actions menées par eux qui ont propulsé le pays au-devant de la scène africaine, ce qui fait  dire aux Ivoiriens que leur pays est béni de Dieu !

Mais peut-on réellement comparer l’un, Houphouët-Boigny né au début du siècle dernier  et l’autre,  Alassane Ouattara venu au monde presque quarante ans  après le premier ? De fait, cette grande différence d’âge instaure entre les deux (2) hommes une relation filiale que leur histoire personnelle,  tirant sa légitimité des pratiques gérontocratiques propres aux cultures traditionnelles  construira, que leur volonté de faire « route ensemble » consolidera  et que la politique consacrera.  Ouattara est le fils d’Houphouët.

Houphouët-Boigny - Ouattara : la comparaison relève-t-elle de l’audace ou de la gageure ? Que gagne-t-on à le faire ? N’est-ce pas oser ?

A vrai dire, l’essentiel se situe ailleurs car non seulement il est éclairant de les comparer, mais surtout  le parcours exceptionnel de ces hommes hors pair permet de mieux comprendre la politique en son sens premier et utile, celui de «  porter un  intérêt à la Polis, c’est-à-dire à  la Cité » et dont la finalité ultime,  selon les termes du Pr Sidibé  Valy est de parvenir à « une  société organisée [où] la gouvernance doit offrir le bonheur, le bien-être et/ou l’épanouissement total ou partiel aux gouvernés. »   Houphouët-Boigny et  Ouattara ont compris la politique en théorie et en pratique, et c’est ça, la chance de la Côte d’Ivoire.

Bien  ancré dans sa culture où la terre est une valeur suprême, tour à tour fonctionnaire,  chef de canton, syndicaliste,  député, puis ministre en France sous la IVe  République, Houphouët-Boigny aura su capitaliser dans sa longue fonction de Chef de l’Etat un parcours riche d’expériences diverses qui lui  a valu le titre de « Sage de l’Afrique ». C’est cet homme politique d’envergure exceptionnelle, « cerveau politique de premier ordre » pour reprendre les mots de  de  Gaulle, qui bâtira la   Côte d’Ivoire moderne avec méthode et  dans la durée.

Pragmatique, montrant un sens profondément paysan dans son approche des choses de la vie, Houphouët-Boigny, à l’aube de l’indépendance, affichera  un intérêt vif pour l’agriculture à la fois pérenne  et vivrière. C’est l’époque de la coopération intense avec les Chinois de  Formose pour la divulgation de la culture du  riz ; c’est l’ouverture sur Israël pour la maîtrise des techniques agricoles ; c’est le temps des grandes plantations (café, cacao, sucre,   palmier à huile, hévéa, coton…) De grosses structures comme la Société d’assistance technique pour la modernisation agricole, (Satmaci) ou la Compagnie ivoirienne pour le développement du vivrier  (Cidv) seront des  appoints nécessaires   pour la promotion  et la vitalité de l’agriculture. 

Le résultat ? La Côte d’Ivoire rafle la première place de la production du cacao au Ghana et se positionne 3e producteur du café. Au milieu des années 1970, la Côte d’Ivoire était auto-suffisante en riz !  Le  développement des grandes sociétés agro- industrielles, les « Sode » (Sodesucre, Soderiz, Sodepalm, Sodepra, Sodefor…) parachève le succès dans ce domaine. Houphouët-Boigny le répétait à l’envi: « Un peuple qui a  faim n’est pas un peuple libre. »

La vision futuriste d’ Houphouët-Boigny le conduit logiquement à accorder une attention particulière à l’Education sans laquelle tout projet de développement n’est que de l’utopie.

Par  ses soins, déjà en 1946, près d’une centaine de  jeunes filles et de garçons partaient  pour la France : Houphouët-Boigny offrait ainsi une opportunité inouïe à de jeunes Ivoiriens pour continuer et parfaire leurs études. C’est la fabuleuse « aventure 46. »  Dans son esprit,  il préparait  le pays à assumer avec responsabilité et respectabilité sa future souveraineté.

Par la suite, il initiera une véritable politique éducative en améliorant avec constance les infrastructures et les ressources humaines.  En ce qui concerne les premières, douze (12) nouveaux collèges sont ouverts dans plusieurs villes du pays, représentatives des différentes régions: Abengourou, Aboisso, Adzopé, Bouaflé, Bondoukou, Dimbokro, Divo, Gagnoa, Toumodi, Sassandra et Séguéla. Objectif ? Donner à tous une chance égale d’accéder à la connaissance. Pendant longtemps, pour le deuxième volet, il s’appuiera sur une coopération exemplaire avec la France par le biais de l’Assistance technique pour combler le déficit du personnel enseignant. L’Éducation aura été sa grande priorité ; il y  consacrera jusqu’à 43% du Budget national !

Les grands travaux suivront : l’Aménagement de la Vallée du Bandama (Avb), l’Autorité de la région du Sud- Ouest (Arso), et la construction du barrage d’Ayamé 2.

Au  plan formellement  politique, Houphouët-Boigny a privilégié l’unité nationale au détriment de l’application stricte des textes, notamment l’article 7 de la Constitution  qui autorisait le multipartisme. Sa conviction était que la « conscience tribale » y trouverait un terreau pour prospérer ; il pensait de bonne foi que  le pays   avait davantage  besoin de constructeurs que  d’agitateurs !  Houphouët-Boigny est le père fondateur de la nation ivoirienne.

Cependant, les années passeront et Houphouët-Boigny rencontrera d’énormes difficultés. L’implacable plan d’ajustement structurel du Fonds monétaire international, (FMI) radical dans sa politique antisociale l’étranglera ; de même que  des spéculateurs impitoyables et véreux mettront à mal la vente du cacao : Houphouët-Boigny est fatigué et désabusé. Définissant la politique comme « la saine appréciation de la réalité », il sera inspiré au bon moment pour se tourner vers son fils prodige, le Dr Alassane Ouattara pour sauver la Côte d’Ivoire qui n’en pouvait plus. Et Alassane Ouattara sauva la Côte d’Ivoire.
 
Technocrate d’un très haut niveau, pétri à l’école américaine de l’économie et de la finance, fonctionnaire international, ouvert sur  son temps, travailleur intransigeant et infatigable, gagneur,  Alassane Ouattara mettra un point d’honneur à redresser la barre, à continuer l’œuvre du père, à donner l’espoir aux Ivoiriens.

S’il était loisible à Houphouët-Boigny de choisir son rythme dans sa stratégie globale du développement,  force est de constater qu’avec Alassane Ouattara  la donne change radicalement.

Par le Dr IDRISS CISSÉ
Directeur de la scolarité à l’Université FHB