Dédicace: Régina Yaou, la diva qui faisait chanter les mots
Dédicace: Régina Yaou, la diva qui faisait chanter les mots
Ne versons pas dans l’exagération pour se donner soi-même bonne conscience ou se consoler, comme c’est souvent le cas en pareille circonstance. Non ne faisons pas ça. Régina n’était pas le meilleur écrivain de Côte d’Ivoire. En revanche, elle était la plus disponible pour ce métier. Ecrire est un véritable métier à part entière qui nécessite du temps. Et Régina s’en est donné du temps pour écrire, pour faire chanter et danser les mots telle une Diva.
Née à Dabou, en... (on ne dit pas l’âge d’une dame) cette originaire de Jacqueville suit des études qui la conduisent au métier de secrétaire et d’assistante de direction. « C’est làbas que j’ai appris davantage à m’organiser. Tu ne peux avoir l’habitude d’organiser un patron, un chef si tu n’es pas toi-même organisée. ». Elle s’organise pour lire depuis l’enfance. Pour écrire dès l’adolescence.
Elle lit et écrit beaucoup. Elle entre officiellement en littérature en 1977 par le truchement d’un concours organisé par le Centre d’édition et de diffusion d’Abidjan (Ceda). Elle est élève à cette époque, au Lycée technique de Cocody et remporte le concours. La jouvencelle a confiance en elle.
Un premier livre en appelle toujours un autre surtout quand il jouit de la reconnaissance des pairs. Désormais rassurée, elle poursuit des projets d’écriture et propose d’autres livres au début des années 1980. Invité à participer à une émission de télévision, elle se voit reprocher d’avoir écrit un livre qui souffre de plusieurs faiblesses, au dire de l’animateur de l’émission. Seulement, cette reconsidération pour ne pas dire déconsidération du talent jusque-là supposé est faite par un journaliste précautionneux, méticuleux et exigeant. Frédéric Grah Mel est journaliste à Fraternité Matin mais aussi enseignant au niveau supérieur notamment à l’Ecole normale supérieure où il dispense des cours de poésie africaine. Sachant donc de quoi il parle, il a un avis qui compte et Régina sort larmoyant de cette émission.
La critique, un levain
Au lieu de mal le prendre et d’en vouloir à cette émission, elle le prend comme un défi et se met au travail un peu comme Nicolas Boileau, inspiré par Horace qui l’avait suggéré. C’est certainement de cette expérience que lui vient son penchant pour la polémique ardente et constructive.
A l’écoute des anciens, elle tire de ses enquêtes préliminaires des ouvrages enracinés dans la culture. Elle est également à l’écoute de la modernité. Partie en France, elle y a suivi une solide formation d’Anglais qui l’a rendue parfaitement bilingue et lui a donné un parler français sans accent. Depuis son retour, elle varie ses textes. Rédige aussi des thrillers d’intérêt. Et sensible à la crise sociopolitique qui offre « Coup d’Etat ». Elle questionne aussi la religion et l’au-delà dans « Les germes de la mort » qui est en fait une trilogie.
Elle fait partie des premières femmes à s’être construit un nom avec ses 31 publications. Elle vivait des fruits de son travail car elle était un succès de librairie et répartissait son temps de travail en répondant favorablement à des textes de commande comme des biographies, des traductions surtout après son bénéfique long séjour aux Etats-Unis d’où elle reviendra davantage enrichie. «Tu sais, aux Etats-Unis, quand les gens découvraient que j’avais écrit une vingtaine de livres, il manifestait leur égard et leur respect. C’est chez nous qu’on ne nous respecte pas », nous avait-elle confié lors d’un Salon de la porte de Versailles.
Ces trois dernières années heureusement, elle aura bénéficié de la reconnaissance des professionnels du secteur. Un prix d’excellence dans la section littérature décerné par la Présidence de la République, une cérémonie d’hommage organisée à la bibliothèque nationale pour la célébration de ses 30 productions. Après Josette Abondio, une distinction locale, et une mise à l’honneur du Salon international du livre d’Abidjan (Sila) après Bernard Dadié.
L’une des preuves de sa performance créative est donnée par la rédaction en 7 jours, d’un ouvrage intitulé « Soeurs de sang » en son tome 2. « Je ne peux pas être l’invitée d’honneur et me rendre au Sila 2017 avec de vieux livres seulement », avait-elle justifié. Le 11 novembre prochain, elle aurait été à l’honneur en même temps que Venance Konan et Fatou Kéita, lors de la cérémonie de distinction du prix Ivoire. La distinction se fera à titre posthume désormais pour la Diva de la littérature ivoirienne.
ALEX KIPRE