
Dédicace/''Un viatorien brésilien et sa trompette'': Bouaké et la Côte d’Ivoire des années 70 dans le prisme du collège Saint-Viateur
C’est à la librairie Carrefour-Siloé de Cocody, le 8 décembre, que s’est déroulée la cérémonie de dédicace de l’ouvrage « Un viatorien brésilien et sa trompette » de Hyacinthe Vianney N’datien. Une cérémonie présidée par le ministre de la Communication, de l’Economie numérique et de la Poste, Bruno Koné.
Le porte-parole du gouvernement qui a pris part à cette évocation de souvenirs des années-collège, 1973 à 1980, a aussi fait partie de la célèbre fanfare de cette école d’excellence. Ce groupe musical a participé à la notoriété, de cet établissement en plus des performances scolaires, sportives et artistiques, ainsi que l’a rappelé un autre viatorien, Pr Yacouba Konaté (philosophe et critique d’art, secrétaire général de la Grande chancellerie, Dg du Masa), lors de son analyse critique de l’ouvrage.
Derrière donc un titre, qui pourrait perdre le lecteur lambda, « Un viatorien brésilien et sa trompette », celui-ci, pour peu qu’il soit informé du microcosme scolaire en Côte d’Ivoire, comprend très vite, et par corrélation avec le sous-titre, « Bouaké des années 1970-Itinéraire d’un adolescent ivoirien », qu’il s’agit d’un ouvrage dédié au mythique collège (puis lycée) Saint-Viateur de Bouaké.
A la lumière d’anecdotes, de témoignages et autres faits, telle une ouaille qui se confesse, l’auteur livre au lecteur son journal intime d’élève puis celle de prof d’anglais taillée dans le moule de Saint-Viateur de Bouaké. En plus de soixante années d’existence, cet établissement qui fut l’objet de tous les rêves de jeunes garçons avides d’excellence a formé une myriade de hauts cadres, acteurs culturels et sportifs, prélats, etc.
Faut-il le noter avec emphase, le livre fait l’objet d’un acte fondateur offrant des images éclatées d’un pan de la vie de l’auteur et de l’histoire des années fastes et glorieuse de la Côte d’Ivoire, si bien nommée l’ère du « Miracle ivoirien ».
Ainsi, on pourrait, à la lecture de ce récit autobiographique, ajouter une strophe à la légendaire chanson de la non moins mythique formation musicale Orchestre de la fraternité ivoirienne (Ofi) de Bouaké : « Bouaké et sa Piscine, ses grandes rues bien éclairées… », en y inscrivant « … Et son collège Saint-Viateur ». Car, à maints égards et au regard du contenu livresque, il ressort qu’en plus de la solide formation académique, le formatage moral et civique, la fanfare et les équipes sportives ont contribué à la réputation de l’établissement comme un pôle d’excellence multicarte et d’un esprit de gagneur partagé.
Il en est ainsi des promotions qui, dès la classe de 6e, choisissent le nom d’un pays comme nom de baptême, en l’occurrence le Brésil qui venait de remporter en 1970 sa 3e Coupe du monde de football et qui fut celui de la promotion de Hyacinthe Vianney N’Datien et Bruno Koné en 1973/74. Estampillé donc de l’épithète de « Brésilien », l’adolescent opte pour la musique et devient au fil des années un as de la trompette.
Bien plus, l’auteur, le goût du détail chevillé à la plume, décrit avec parcimonie les rues d’Air-France, N’Gattakro, Commerce, Koko… les balades à mobylette, les frasques et autres facéties qui vont de pair avec cette insouciance juvénile, mais avec toujours en point de mire la quête de l’excellence.
A tous égards, arguant que l’institution « viatorienne » lui a permis de fourbir ses armes pour affronter la vie, N’Datien nous plonge dans sa vie estudiantine à l’Ecole normale supérieure (Ens) à Abidjan, ainsi que sa relative frustration d’artiste manqué. Mais qui arrive tant bien que mal à satisfaire à l’Ina (Institut national des arts), actuel Insaac, où il a fait des humanités au conservatoire.
Culte de l’excellence, culture de la solidarité
Mieux, l’esprit viatorien ne s’estompant point, N’Datien montre comment la solidarité entre les anciens du collège est forte, aussi bien à Abidjan, Akoupé, Abengourou, Bouaké… dans la vie professionnelle., associative, spirituelle, familiale et sociale.
A juste titre, pour cet ouvrage, l’auteur a bénéficié du soutien et de l’ombre tutélaire de ses anciens profs et directeurs, ainsi que du Fonds d’actions Saint-Viateur. Le tout avec des illustrations fort parlantes. Justement, Bruno Koné incitera ses « amis » à pérenniser cette flamme solidaire.
Au plan technique, l’on pourrait se demander, à l’envi, pourquoi pour une autobiographie, l’auteur a-t-il opté pour parler de lui à la 3e personne du singulier ? Autrement dit, la configuration de soi ?
Le style de la subjectivité… objective ?
Dans une situation personnelle problématique, le fait de prendre de la distance en s’imaginant extérieur à la trame peut aider à aborder la situation avec plus de sérénité. On se désinvestit tout en restant concerné, en quelque sorte. N’Datien adopte alors ce que Benveniste appelle le style de l'histoire – celui où l'on gomme délibérément toute marque personnelle, pour se considérer comme un-il, un être historique qui vaut en tant qu'acteur des événements.
Bien sûr, il y a aussi quelque chose de très emphatique à parler de soi à la troisième personne, une certaine façon de se monumentaliser que l'on peut considérer comme très orgueilleuse. Mais c'est aussi une façon de repousser toute tentation de s'intéresser à sa propre vie subjective, qui serait non pertinente à côté, par exemple, de Mémoires historiques.
En cela, l’on retient que la figuration ne copie pas mais donne forme ; elle fait un choix dans un répertoire de possibilités discursives (par exemple l'autobiographie, le journal intime, le poème lyrique) ; et désigne la réalité qu'elle vise en la saisissant sous certains de ses aspects, sans en épuiser la totalité.
Au total, « Un viatorien brésilien et sa trompette. Bouaké des années 1970-Itinéraire d’un adolescent ivoirien » offre un cas subtil d'autobiographie écrite à la 3e personne. L’écrivain voulant surtout manifester la distance entre l'enfant qu'il n'est plus et l'adulte qui écrit – mais aussi l'irréductible aliénation qu'introduit l'écriture de soi, en faisant du moi un autre : une sorte d'être de langage à jamais étranger à celui qui vit.
REMI COULIBALY
« Un viatorien brésilien et sa trompette. Bouaké des années 1970-Itinéraire d’un adolescent ivoirien » ; 2017, Abidjan, Editions Paulines, 164P.