Comédie musicale: Serge Bilé fait chanter Houphouët-Boigny !

Comédie musicale: Serge Bilé fait chanter Houphouët-Boigny !

L’histoire se situe entre 1946 et 1960, au moment de son combat contre le travail forcé et de la marche vers l’indépendance. Dans ce spectacle, le combat d’Houphouët et son amour pour Marie-Thérèse se côtoient pendant 1h30. Parmi les autres personnages, on retrouvera Jean-Baptiste Mockey, Anne-Marie Raggi, Etienne Djaument et le gouverneur Péchoux. La bande son de cette comédie musicale sera présentée officiellement ce mercredi 1er août  à Abidjan. En exclusivité pour Fraternité Matin, Serge Bilé a accepté de répondre à nos questions et de nous dévoiler son projet…

Comment vous est venue l’idée de cette comédie musicale basée sur le parcours politique d’Houphouët-Boigny ?

Je travaille sur l’histoire des Noirs depuis 25 ans. Je le fais à travers des  films documentaires comme  celui sur les  Boni de Guyane réalisé en 1994. Je le fais aussi avec mes  livres, comme Et si Dieu n’aimait pas les Noirs ou Noirs dans les camps nazis. Je le fais enfin également à travers la musique,  parce que je suis musicien. Aux Antilles, j’ai écrit pour des artistes comme Eric Virgal, Jocelyne Beroard ou Tanya Saint-Val. En Afrique, j’ai composé pour Meiway et Charlotte Dipanda. A Paris, j’ai réuni sur une de mes chansons des artistes aussi divers qu’Enrico Macias, Pierre Bachelet, Yves Dutheil, Nicole Croisille  et Manu Dibango. En 2008, j’ai écrit une comédie musicale sur Nelson Mandela. Elle a été jouée en Martinique, en Guadeloupe et au Casino de Paris. Après le succès du spectacle, l’idée de refaire la même chose avec Houphouët-Boigny a commencé à me trotter par la tête. Il y a quatre ans, je me suis jeté à l’eau. J’ai écrit le livret. J’ai composé les chansons. J’ai écrit les dialogues. J’ai ajouté d’autres dialogues écrits par Ina Césaire, la fille d’Aimé Césaire, et fait appel également pour compléter le tableau à l’écrivain Hyacinthe Kakou, bien connu ici en Côte d’Ivoire. Enfin, pour mettre en musique ces dialogues, à côté de mes chansons, j’ai sollicité le jeune compositeur ivoirien Manu Didia. Il s’est également occupé des arrangements de la bande son qui sera présentée ce mercredi 1er août aux journalistes et à un public restreint.

Une  comédie musicale,  c’est un genre artistique nouveau ici…

Les comédies musicales font partie depuis longtemps du paysage artistique aux États-Unis. Elles ont également  le vent en poupe depuis quelques années en Europe. Il n’y a pas de raisons que notre continent reste en dehors de ce mouvement. Nous avons l’habitude de consommer les choses qui viennent d’ailleurs. Aujourd’hui, nous devons proposer à nos publics la même chose, à partir de nos réalités culturelles et de notre propre histoire. C’est dans cet esprit que je travaille, en m’appuyant sur des compétences et des talents en Côte d’Ivoire même.
Dans un  contexte politique  actuel  marqué par la division des Houphouëtistes, n’y a-t-il  pas lieu de craindre que ce projet culturel soit récupéré par les uns et rejeté par les autres ?

Je ne suis pas dans une démarche politique. Ça ne m’intéresse pas. Je ne me soucie guère non plus des réactions excessives des partisans ou des opposants d’Houphouët-Boigny, car cet homme appartient aujourd’hui à tous les Ivoiriens qu’il fédère plus que jamais. Nous avons tous une connexion personnelle avec lui. En ce qui me concerne, quand j’étais  étudiant, j’ai beaucoup critiqué Houphouët-Boigny, comme les jeunes de mon âge et de mon époque. Aujourd’hui, avec le recul, je fais la part des choses entre les ombres et les lumières du personnage. J’aime toute la période qui va de 1946 à 1960. Houphouët-Boigny a mené un combat difficile, il a risqué sa vie. C’est une page d’histoire qu’il faut connaître. Mon ambition est de la faire revivre pour que le plus grand nombre puisse se la réapproprier.

Autrement dit, c’est une façon pour vous de célébrer l’héritage politique d’Houphouët-Boigny ?

Non, je ne suis dans aucune revendication politique. Je suis dans la même démarche que celle de mes livres. Je veux mettre en relief notre histoire avec ce qu’elle a de bien et de moins bien. Nos jeunes n’ont pas connu Houphouët-Boigny ! Ils ne savent souvent de lui que ce qu’en disent nos politiciens avec des arrière-pensées évidentes. Ma démarche est tout autre. Elle consiste à retracer l’histoire d’un homme qui nous a tous marqués. L’option de la comédie musicale permet une approche aussi agréable que distanciée…

Vous avez été sacré Grand Prix Bernard Dadié de littérature générale au Salon International du Livre d’Abidjan en mai 2018. Serge Bilé est-il enfin prophète chez lui ?

J’ai commencé à travailler sur l’histoire des Noirs et la question de la mémoire lors de mon séjour en Guyane où j’avais été envoyé pour présenter le journal télévisé en 1993. J’ai organisé à l’époque le voyage du retour pour une dizaine de Boni, dont chacun sait aujourd’hui qu’ils ont un lien avec les Agni et Baoulé de Côte d’Ivoire. Ils ont été accueillis à leur arrivée ici avec enthousiasme. Le gouvernement avait promis de m’aider à continuer ce travail. J’attends toujours. Malgré tout, j’ai continué avec les moyens du bord et aujourd’hui mon œuvre est d’abord reconnue par le public d’ici et d’ailleurs. Alors, mieux vaut tard que jamais, si 25 ans après, un prix consacre également mes mérites. Aurais-je désormais les moyens d’agir, alors qu’il reste tant de choses à faire ? C’est la question que je me pose. Seul l’avenir nous dira si le pays a compris l’importance de l’histoire dans la construction de nos peuples, l’importance de bâtir des ponts avec la diaspora et pris la mesure de mon investissement et de l’appui financier attendu. C’est de la réponse concrète à cette question, des moyens dont je pourrai disposer pour travailler, que je pourrai vous dire demain si je suis prophète ou non chez moi.

A quand la première représentation de cette comédie musicale sur Houphouët-Boigny à Abidjan ?

La première phase s’achèvera ce mercredi avec la présentation de la bande-son. La seconde phase est l’affaire de Fabrice Sawegnon et de l’agence Voodoo qui travaillent sur le budget. La troisième phase reviendra à l’équipe sur place ici, pilotée par Guy Neza. Il s’agira de constituer la troupe en organisant un casting pour recruter les chanteurs et danseurs qui participeront à l’aventure. Si tout se passe bien, les répétitions démarreront début 2019. J’ai hâte de faire découvrir ce spectacle au public ivoirien.

Interview réalisée par
RÉMI COULIBALY