Basket-ball (Mondial 2019): La Côte d’Ivoire de retour au Mondial de Fiba
La qualification qui ouvre la voie du professionnalisme
Les noms des 32 formations admises à la Coupe du monde Fiba (Hommes) de la balle au panier, prévue du 31 août au 15 septembre 2019 en Chine sont connues depuis le week-end dernier. La Côte d’Ivoire fait partie de ce groupe de privilégiés. Après la Colombie, en 1982, l’Espagne en 1986 et la Turquie, en 2010, c’est la quatrième fois que le pays va disputer une phase finale de cette compétition d’envergure.
Avec les Eléphants de Côte d’Ivoire, il y aura les Lions de la Teranga du Sénégal, les D-Tigers du Nigéria, les Aigles de Carthage de Tunisie et les Palancas Negras d’Angola. La crème du basket-ball africain. Pourtant, que de souffrance pour y arriver ! Jusqu’à la dernière minute de la dernière fenêtre qualificative, au Palais des Sports de Treichville (22, 23 et 24 février), personne ne pouvait parier sur les Eléphants. La seule chose qui dépendait d’eux était qu’ils devaient s’arranger pour gagner, avec une marge confortable leurs trois derniers matches. Dans la salle du Palais des sports, le public venait plutôt pour le spectacle. Même Paolo Pavia, le sélectionneur national n’y croyait pas vraiment.
Pour lui, cela relèverait pratiquement d’un miracle. Mais les garçons sont allés chercher cette qualification avec leurs tripes. « C’était un challenge personnel. Pour chacun de nous, il fallait faire le travail pour montrer aux yeux de tous que le basket-ball doit compter dans le pays. C’est vrai que le football est au-dessus du lot. Nous-mêmes, nous regardons les matches de football, mais ce n’est pas sûr que les footballeurs viennent à nos matches. C’est dire que nous ne cherchons pas à faire de la comparaison. Mais de grâce, ayez un peu de considération pour nous !», s’indignait Souleymane Diabaté, meneur de jeu international ivoirien de Nancy (Pro-B France).
C’est avec un cœur gros comme la terre que le capitaine Edi Guy Landry et ses équipiers ont relevé le défi, après trois journées de combats acharnés. Il fallait, en effet, battre le Nigeria ; ce qui était une autre paire de manche. Ensuite, ils devaient écraser le Rwanda et plumer les Aigles du Mali, pour espérer empocher le fameux ticket. C’était presque impossible.
Et pourtant, le miracle s’est produit ce soir du 24 février 2019. Lors de leur dernier match, Guy Landry Edi, le capitaine, Solo Diabaté, Bryan Bamba, Mohamed Koné, Adjéi Barou et leurs équipiers ont promené les Maliens dans la salle (69-46). Juste ce qu’il fallait pour s’inviter en Chine. Finalement, la Côte d’Ivoire a terminé meilleur troisième, avec 19 points et retrouve le Mondial, 9 ans après sa dernière participation en Turquie.
Une revanche personnelle pour les joueurs
En réalité, le rêve des Ivoiriens a commencé à prendre forme après la première journée. Lorsque, les Eléphants, poussés par un public fantastique, avaient apprivoisé les D-Teagers du Nigeria (72-46), vendredi, lors de la première journée. Au cours de la deuxième journée, samedi, ils ont filé 21 points d’écart face aux Rwandais (87-60). Vafessa Fofana (21 points, 3 rebonds, 1 passe), Bryan Pamba (18 points, 4 rebonds, 3 passes) et Baru Adjei (14 points, 7 rebonds, 1 passe) avaient été les bourreaux des Amavubi.
Sur le parquet, il y avait cette rage qui transpirait chez la bande à Pavia. Fofana Vafessa, Adjéi Barou, Mohamed Koné, Bryan Bamba, Fréjus Zerbo, tenaient particulièrement à cette qualification. A tel point que certains ont même oublié les gros efforts fournis par les Eléphants de Paolo Pavia. C’est que par cette performance, les Ivoiriens brisaient, à distance, les incantations des Camerounais qui étaient à l’affût pour cette fameuse place du meilleur troisième.
Cette victoire est surtout une revanche personnelle pour les joueurs qui se sentent lésés par leur pays. « Nous avons mis les problèmes financiers de côté pour jouer au basket. Notre devoir est de représenter dignement la Côte d’Ivoire. C’est notre pays et nous l’aimons. Pour être honnête, cette qualification est la nôtre. Quant aux autorités, elles ont été absentes », dénonce Souleymane Diabaté.
C’est que l’équipe se sent orpheline depuis bien longtemps. « Franchement, je ne sais plus à quel saint me vouer. J’ai dû vivre avec les joueurs à l’hôtel. Une question de leur parler en continue afin qu’ils acceptent d’aller jusqu’au bout. Car, il faut l’avouer, il y a eu des situations inacceptables », confie le président de la Fédération ivoirienne de football, Mathieu Agui-Miézan, qui ne comprend pas le traitement réservé à son équipe. Jusqu’à ce jour, aucune prime n’a été versée aux membres de l’équipe.
Souleymane Diabaté et ses coéquipiers de situation sont repartis en Europe sans avoir reçu la reconnaissance de l’Etat. Hormis la chaleur des Ivoiriens qui sont descendus sur le parquet pour les féliciter après leur dernier match. Et ce déjeuner copieux offert par le ministre des Sports qui était censé pardonner à l’Etat de Côte d’Ivoire ses nombreux manquements vis-à-vis des basketteurs. Une sélection nationale, abandonnée dans les bras de la Fédération, qui n’a dû son salut qu’à Fiba Afrique qui a mis tout en œuvre pour que sa compétition se déroule convenablement.
Les explications du ministre des Sports
Lors des échanges avec les membres de la sélection nationale, au déjeuner qu’il avait offert dans un restaurant, au Plateau, le ministre Danho Paulin a été clair. « Cette fenêtre de Fiba n’était pas pris en compte dans notre budget. D’ailleurs, cette épreuve initialement devait avoir lieu au Sénégal. C’est à la dernière minute que Fiba Afrique nous a contacté pour qu’elle se déroule à Abidjan », a indiqué le ministre, qui dit avoir pris attache avec la Fédération ivoirienne de basket-ball avant de donner son accord à Fiba Afrique. « La Fibb m’a convaincu que cela nous donnait beaucoup plus de chance de nous qualifier pour la Coupe du monde. C’est sur cette base que nous avons convenu que ce tournoi se passe à Abidjan. Bien que nous n’ayons pas d’argent », a poursuivi Danho Paulin.
Le patron des sports a justifié son absence au Palais des Sports par un calendrier très chargé (lancement des travaux de construction de stade à San Pedro, Rallye Bandama, à Yamoussoukro et autres). C’est à deux minutes de la fin du dernier match de l’équipe que le ministre est entré dans la salle du Palais des Sports déjà en liesse. En père de famille, Danho Paulin devait parler aux joueurs ; d’où ce déjeuner qui a failli tourner au vinaigre. N’eût été la hauteur d’esprit du ministre. Car les joueurs qui en avaient gros sur le cœur n’ont pas utilisé la langue de bois. Mais le ministre les a encouragés à se vider. « Nous sommes en famille, parlez sans tabou… », ne cessait-il de répéter.
Au finish, Danho Paulin a passé son message de félicitations et d’encouragements, ainsi que celui du gouvernement à l’équipe. L’on retient que cette qualification pour la Coupe du monde va permettre de régler définitivement le problème du basket-ball ivoirien. « Vous me donnez-là, la force pour plaidoyer auprès du gouvernement afin d'obtenir une rallonge budgétaire et permettre à l’équipe de représenter dignement la Côte d'Ivoire à la Coupe du monde en Chine », a-t-il indiqué.
Danho Paulin a, non seulement, pris l’engagement de faire en sorte que plus jamais, cette situation fâcheuse ne se répète, mais en plus, il a soutenu que cette qualification devrait ouvrir définitivement la voie à la professionnalisation de la discipline. « La loi sur le sport entre dans sa phase d’application. Désormais, il n’y aura plus de place pour l’improvisation. Tous ces problèmes de primes seront de vieux souvenirs », a-t-il conclu. Il a aussi révélé qu’avec la Nba et la Banque mondiale, un projet de construction de plusieurs infrastructures de proximité va bientôt se mettre en place dans le pays. « Nous avons signé cette convention lors de mon dernier passage aux Usa, en marge du All star Game », a-t-il conclu.
PAUL BAGNINI