Thomas Camara, DG de la SIR: ‘’Notre raffinerie a un bel avenir devant elle !’’
Comment se porte la Sir aujourd’hui ?
La Sir se porte très bien !
Il y a quelques mois encore, vous ne pouviez pas parler avec autant d’assurance…
Il y a quelques temps, en effet, la Sir ne se portait pas bien. Mais grâce au fort appui que nous avons obtenu du gouvernement, la dette de la Sir a été restructurée ; tous les fournisseurs ont été payés ; la situation financière est pratiquement mise à niveau de sorte que nous nous portons effectivement très bien !
La Sir a accumulé des dettes qui se sont élevées à plus de 300 milliards de francs Cfa. Comment en est-on arrivé là ?
Tout a démarré en 2008. A partir de cette année-là, il y a eu une chute importante des cours. Il y a eu d’abord une crise financière aux États-Unis qui s’est traduite par une crise économique mondiale qui a affecté les cours des produits pétroliers et entraîné l’effondrement des marges de raffinage. Ces deux phénomènes cumulés ont lourdement affecté le tissu du raffinage international. Beaucoup de raffineries ont fermé en Amérique, en Europe, en Afrique et même tout près de nous, dans la sous-région ouest-africaine.
Celles qui ont survécu ont eu à faire face à des dettes qui se sont créées et se sont accumulées. Il y a eu ensuite une deuxième chute des cours en 2014 qui a porté un autre coup dur aux raffineries. La Sir a survécu à ces deux crises, mais avait accumulé depuis 2008 une dette qu’il fallait restructurer.
Nous avons donc approché l’Etat et nous lui avons demandé de bien vouloir venir à notre secours. Nos hautes autorités se sont montrées très compréhensives. Je voudrais saisir vos colonnes pour dire merci au Président de la République, Alassane Ouattara, au Premier ministre Amadou Gon Coulibaly et à tout le gouvernement, notre ministre de tutelle en particulier, Abdourahmane Cissé, qui avait déjà initié la communication en Conseil des ministres quand il était en charge du Budget, pour solliciter l’accord du gouvernement afin de soutenir la Sir.
En décembre 2018, la dette a été restructurée avec la signature des accords par les différents ministres et en janvier dernier, nous avons payé toutes les dettes dues aux fournisseurs et aujourd’hui, la situation financière de la Sir est très bonne.
Tout le mérite revient à nos autorités qui nous permettent d’avoir aujourd’hui une Sir reluisante, qui fait envie comme vous le constatez ici à Cape Town à l’assemblée générale annuelle de l’Ara où nous sommes chaleureusement félicités et cités en exemple.
Au plus fort de la crise, certaines voix ont préconisé la réduction du personnel comme voie de solution. Mais vous vous y êtes refusé. Pourquoi ?
C’est vrai ! Lorsque nous avons été nommé à la tête de la Sir, en décembre 2011, par le Président de la République, nous connaissions déjà la situation. Nous savions que le problème de la Sir n’était pas un problème de personnel ni de charge salariale. C’était plutôt la dette qui s’est accumulée depuis 2008.
Il fallait faire face à cela plutôt que de recourir à un plan social qui consisterait à mettre des pères de famille dans la rue. On ne résoudrait pas le problème. Nous avons expliqué à nos autorités que ce n’était pas ça la solution. La solution, c’était d’adresser le problème de la dette.
Avant d’agir, l’Etat a commis un audit par un cabinet international qui a également fait son évaluation de la situation et a conclu que le problème de la Sir, c’était la dette. C’est ainsi que l’Etat a pris ses responsabilités pour intervenir et sauver la Sir. Le plan social ne s’imposait pas…
Surtout qu’il aurait certainement conduit à sacrifier certaines expertises…
Tout à fait. Nous sommes la seule raffinerie et la meilleure en Afrique de l’Ouest. D’ailleurs, les raffineries voisines (celles du Cameroun, du Sénégal, du Gabon et du Congo) viennent former leurs effectifs chez nous. L’expertise se trouve chez nous.
Pour acquérir l’expertise dans le monde du raffinage, il faut au minimum 15 ans d’ancienneté. On aurait renvoyé des gens qui seraient partis avec leurs expertises sûrement et ça aurait affaibli la Sir. Et lorsqu’on aurait réglé le vrai problème de la Sir, nous aurions à souffrir de cette situation.
Comment avez-vous vécu les différentes contraintes demandées par l’Etat dans l’exécution du plan de sauvetage: réduction des charges de fonctionnement, amélioration des performances, etc. ?
Il y allait de la survie de l’entreprise et du maintien des emplois. Nous avons fait preuve d’imagination, mis à contribution le personnel en faisant du brainstorming. Nous avons demandé que tout ce qui ne contribue pas à la survie de l’entreprise soit tout simplement supprimé. En revanche, tout ce qui est et contribue doit être amélioré. C’est ce principe qui a été adopté.
Nous avons pu maintenir l’essentiel et nous nous sommes débarrassés de beaucoup de choses qui étaient, certes, importantes, mais pas indispensables. C’est ainsi que nous sommes arrivés à faire des économies à hauteur de six milliards de francs par an au niveau des dépenses de fonctionnement. Au niveau des gains de compétitivité, nous avons fait un Business Model qui a consisté à mettre à plat tous les processus, tant au niveau technique qu’au niveau financier et commercial.
Des propositions ont été faites, qui ont abouti à des plans d’actions avec des dates de réalisation. Avec les responsables désignés, nous avons piloté ces opérations au quotidien. Et nous avons pu faire des améliorations de notre compétitivité, de nos performances, de plus de dix milliards de francs Cfa.
L’Etat a dû déployer sa garantie souveraine pour rassurer vos partenaires. Comment cela a-t-il opéré ?
Il s’agissait de restructurer la dette sur un terme long. Nous nous y étions essayés auparavant, mais nous n’avions pu obtenir que des durées de trois à quatre ans. Or, il fallait au moins une maturité de neuf ans, voire douze. Les banques ne pouvaient pas nous l’accorder sans une garantie de l’Etat.
La garantie souveraine de l’Etat a permis d’accéder donc à ce refinancement de la dette avec une maturité plus longue. Auprès des banques locales, nous avons pu obtenir une maturité de sept ans et auprès des banques internationales, une maturité de neuf ans ; ce que nous ne pouvions pas obtenir de nous-mêmes. Naturellement, tout est organisé à notre niveau pour ne pas appeler cette garantie souveraine.
Il y a eu un autre coup dur en janvier 2017 : l’incendie qui a endommagé votre unité phare. Avez-vous évalué le préjudice subi ?
Effectivement, notre unité phare, l’hydrocraqueur, a connu un incendie il y a deux ans. Heureusement, nous étions assurés au niveau national et au niveau international par les réassureurs contre, à la fois, les dommages et la perte d’exploitation. Cette assurance a été actionnée et nous avons pu être remboursés par les réassureurs de tout ce que nous avons perdu et également de tout ce que nous avons dépensé pour remettre l’hydrocraqueur en service. Le manque à gagner a été remboursé.
Aujourd’hui, nous avons pratiquement achevé le démarrage de cette unité. Nous en sommes au réglage plus fin pour que l’unité marche au régime établi, sans perturbation. Elle devrait être à régime dans les tout prochains jours.
La Sir est-elle à même de faire face à la concurrence des grosses raffineries qui voient le jour de par le monde et même, non loin de la Côte d’Ivoire, au Nigéria ?
Le secteur du raffinage est effectivement de plus en plus concurrentiel. Mais l’avantage que nous avons à la Sir, c’est d’être doté d’un outil puissant qui est justement l’unité d’hydrocraquage. Avec cet outil, et avec les économies, les améliorations et les optimisations que nous avons faites, tout le monde est unanime pour dire que s’il devait y avoir une seule raffinerie, qui devrait rester dans notre sous-région ouest-africaine, c’est bien la Sir.
Nous n’avons donc pas peur de la concurrence. Mais il y a quand même un rendez-vous qu’il faut préparer : c’est la modernisation de la raffinerie pour lui permettre de fabriquer des produits pétroliers avec des teneurs en soufre de plus en plus basses. Les contraintes environnementales sont telles, aujourd’hui, qu’il faut fabriquer des produits propres. Cela passe par des investissements. Une fois que nous aurons franchi cette dernière étape, la raffinerie pourra assumer le bel avenir qu’elle a devant elle !
La période où les fournisseurs vous fuyaient parce que vous n’étiez pas solvables est-elle donc définitivement révolue ?
Elle est complètement révolue ! Les fournisseurs nous fuyaient. Mais on ne peut pas jeter la pierre à eux tous. Certains nous sont restés fidèles, même s’ils exigeaient des garanties avant de décharger les cargaisons de brut. Certaines banques aussi nous fuyaient…
Aujourd’hui où la situation financière est rétablie, tout le monde nous court après. Nous profitons de la présence du plus grand nombre pour mettre de la compétition entre les banques et au niveau des fournisseurs aussi, pour tirer les prix vers le bas, pour optimiser, voire maximiser, nos résultats.
Avez-vous tiré les leçons de ce qui est arrivé ? Êtes-vous structurellement bien organisé aujourd’hui pour faire face à tout nouveau coup de ce genre, malgré les aléas du secteur ?
Le niveau zéro n’existe pas certes, mais la Sir a un niveau de professionnalisme très élevé. Toutes les raffineries sœurs de la sous-région viennent se former à la Sir. La compétence est là ! Même les institutions de Bretton Woods s’accordent pour dire que la Sir est viable, qu’elle regorge de compétences.
Les compétences sont là, la situation financière est rétablie, la capacité de production est entièrement retrouvée, les mécanismes sont mis en place pour ne plus retomber dans cette difficulté. Nous avons beaucoup appris de cette période. Cela a commencé en 2008, et s’est réglé en 2018. Ce sont dix années de traversée du désert où nous avons appris beaucoup.
Interview réalisée à Cape Town par
Elvis KODJO
envoyé spécial