Edouard N’Guessan (Expert du cacao) à propos du système de vente anticipée à la moyenne: «Aucun système n’est parfait »

Edouard N’Guessan (Expert du cacao) à propos du système de vente anticipée à la moyenne: «Aucun système n’est parfait »

Le 16/09/24 à 12:39
modifié 17/09/24 à 14:21
La campagne cacao s'ouvre le 1er octobre. A quelques jours de cet événement important, Edouard N'Guessan, Ex-DGA du Conseil café cacao, aborde la question relative au système de commercialisation des fèves.
Le prix du cacao connait une hausse record sur le marché international. Quelle lecture ?

Les changements climatiques du moment ont eu pour corollaire le bouleversement des récoltes. Nous constatons en effet des pluies et chaleurs inhabituelles de nature à menacer la production. Ce qui a pour conséquence, la baisse de l’offre du cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana, qui représentent jusqu’à 60 % de la production mondiale.

Pour la saison 2023/2024, les ventes à terme en Côte d’Ivoire ont atteint 1,3 million de tonnes, contre une moyenne annuelle de 1,8 million avant la suspension des opérations par le régulateur, anticipant une réduction de la récolte.

Tout cela a induit à une hausse importante des prix, avec une augmentation record en un an de 114%, pour atteindre en moyenne 4500 euros, soit 2925000 F CFA. Le 6 février 2024, les cours du cacao à New York ont clôturé à 5220 $ la tonne, soit 3132000 F, plus que le double par rapport à l’année précédente à la même période, et proche du record de 5379 $ la tonne de 1977, soit 3227400 F CFA.

Quelle répercussion sur le prix d’achat bord champ du cacao au cours de la campagne 2023-2024 ?

En effet, la tendance haussière actuelle des cours du marché n’a pas profité immédiatement aux producteurs ivoiriens, pour la campagne 2023-2024, du fait de la politique de prix adopté par notre pays, qui est basé sur un système de vente par anticipation. C’est d’ailleurs ce système qui permet la fixation du prix minimum garanti en début de campagne, en tenant compte du prix moyen de vente. Le prix est fixé d’avance sur la campagne. Alors donc que les prix des contrats futurs sur le cacao continuent de progresser, atteignant des niveaux record, les producteurs ivoiriens devront se tenir dans une position d’attente. L’impact de cette progression des cours devrait se ressentir sur les campagnes à venir, notamment celle de 2024-2025 qui s’ouvre le 1er octobre.

Dans ce cas, peut-on dire que le système de vente anticipée à la moyenne et le système de stabilisation sont-ils vraiment profitables aux producteurs ?

Aucun système n’est parfait. Mais le système de vente anticipée à la moyenne pratiqué par notre pays a l’avantage de mieux amortir les chocs. Et pour le cas de la Côte d’Ivoire qui est un pays producteur, les acteurs les plus fragiles de la chaine de commercialisation restent indéniablement les planteurs de cacao qu’il faut protéger. On se rappelle d’ailleurs que notre récente expérience de libéralisation des filières café et cacao (1999-2012) a occasionné de nombreuses déconvenues aux producteurs ivoiriens, avec des niveaux de rémunération très largement déconnectés des cours mondiaux. Le système libéralisé expose trop directement le producteur aux aléas du marché.

L’intérêt du système de vente anticipée s’apprécie beaucoup plus lorsque le marché observe des baisses subites et systématiques. Le producteur reste couvert par des ventes antérieures meilleures. Et dans tous les cas, la hausse des cours du moment est capté par le système et pourra être répercuté sur les prix garantis ultérieurs.

Cela dit, tout système est dynamique. Et rien ne s’oppose à des réflexions en vue d’une révision ou au moins une modulation des politiques de prix en Côte d’Ivoire, afin de refléter plus équitablement la hausse des prix mondiaux sur le prix au producteur. On a évoqué par le passé, au temps de la Caisse de stabilisation du café-cacao (Caistab) la possibilité de fixer des prix garantis par trimestre. La réflexion reste ouverte.

Dans un contexte de changement climatique et de baisse de la production, quel avenir pour la filière cacao ?

Cette préoccupation évoque irrémédiablement la problématique de la durabilité de la filière cacao avec ses questions de viabilité et de pérennité de chacun de ses acteurs. La durabilité de la cacaoculture, vue sous l’angle de la chaine des valeurs, pourrait être définie comme la mise en place de dispositifs visant à la sauvegarde et au développement des intérêts de chaque acteur de la chaine des valeurs. Autrement dit, pour que l’Etat, le consommateur, l’industrie, l’exportateur, l’acheteur, le Ppoducteur... continuent de trouver chacun son compte dans la filière cacao, il faut veiller au maintien de l’intérêt de l’autre. Malheureusement, en ce qui concerne le producteur, le sentiment est qu’il est très peu soutenu pour l’amélioration de ses revenus. Et pourtant, toutes les tâches liées à la durabilité de la production et à la durabilité du cacao lui sont dévolues.

Les défis climatiques actuels qui tendent à la dégradation des sols, nécessitant des investissements accrus de la part des planteurs pour maintenir la production de fèves en est un exemple. Avec plus de 80 % des champs de cacao gérés par des productions familiales de moins de 10 hectares, selon la Fondation FARM, l’augmentation des coûts de production pèse encore plus sur chaque planteur.

Et la mise en place de projets divers de certification et de normes nouvelles, toujours encore plus contraignante pour le producteur, implique des investissements supplémentaires, en termes de ressources humaines mais également de ressources matérielles, économiques et financières.

Il convient que l’industrie s’implique beaucoup plus dans les investissements au niveau des producteurs et de leurs vergers. Des primes exceptionnelles de qualité et de durabilité indexées au prix du cacao produits avec des normes spécifiques de durabilité, avec un système de rémunération directe du travail supplémentaire du producteur pourrait être une bonne révolution en la matière.

Le Conseil du café-cacao développe en ce moment la norme ARS 1000 pour le cacao durable afin de répondre aux différents défis de durabilité du moment, à savoir la déforestation et le changement climatique, la qualité et la traçabilité du cacao, le travail des enfants et l’amélioration du revenu des producteurs. Ce qui permet de répondre du même coup aux exigences du marché européen.

Nous pensons que l’industrie devrait soutenir cette initiative avec des primes assez significatives aux producteurs, en l’indexant au produit issu de cette norme.

Réalisée par Ahua Kouakou



Le 16/09/24 à 12:39
modifié 17/09/24 à 14:21