Essis Esmel Emmanuel (Fest-Yaye) : « Il faut faire comprendre nos traditions aux jeunes »
Essis Esmel Emmanuel (Fest-Yaye) : « Il faut faire comprendre nos traditions aux jeunes »
Il évoque dans cet entretien les enjeux de ce festival qui a ouvert ses portes le 15 août pour prendre fin, ce samedi 19 août 2017, à Dabou. La première édition du "Yaye" était placée sous le thème « Culture et cohésion sociale ».
Quelle est la signification première du mot Yaye ?
Si nous voulons traduire littéralement « Yaye », cela veut dire défilé. Yaye, c’est la danse. C’est aussi une exhibition qui peut avoir plusieurs formes. Cela peut être une expression de joie, de malheur, de guerre, etc. Chez l’Adjoukrou, toutes les cérémonies sont émaillées d’exhibition qu’on appelle le Yaye.
Quand on revient de chasse, on Yaye. Ce qui veut dire qu’on parade dans le village comme pendant toutes les festivités Adjoukrou. C’est pourquoi nous avons adopté cette expression pour symboliser cette transversalité par rapport à toutes nos cérémonies. Au-delà du défilé, il s’agit de l’expression culturelle du peuple Adjoukrou. Nous avons donc choisi une expression qui traverse toutes les activités que nous ferons pendant ce Festival des arts et culture du Leboutou. Le Yaye à l’avantage d’être une cérémonie qui est constante dans toutes les cérémonies organisées par le peuple Adjoukrou.
Dans l’aire socio-culturelle Leboutou, combien de village et de sous-préfecture peut-on dénombrer ?
La ville de Dabou est le département et le chef-lieu de la région des Grands ponts. Le Leboutou compte trois sous-préfectures (Toupah, Lopou et Dabou) et 33 villages véritablement Adjoukrou. A cela, il faut ajouter les villages satellites qu’on appelle campement. Il faut donc dénombrer au total 42 villages dans le Leboutou.
Qu’est ce qui fonde la tradition Adjoukrou pour qu’elle puisse traverser aussi longtemps le temps ?
De ma compréhension, cela est dû à notre organisation démocratique qui a su traverser le temps. Il s’agit de la manière dont nous sommes organisés par classe d’âge. Et surtout la manière dont la classe d’âge accède et cède le pouvoir. C’est ce dispositif démocratique qui fait la force de l’Adjoukrou. Je vous donne un exemple. Si vous ne faites pas la fête de « Lôh » vous n’êtes pas compté comme un fils du Leboutou.
C’est comme si vous n’avez pas de carte d’identité. Ce qui vous oblige à faire cette fête. Généralement, ce sont les parents qui le font pour leur progéniture puisqu’elle se fait au moment où l’enfant à 19, 20 ans. C’est comme une initiation de l’enfant. Chez nous, on identifie un homme à trois niveaux. Son nom (famille), son village et surtout sa génération. Sans cela tu es comme un électron libre qui flotte dans le peuple.
Après le « Lôh », quelques années plus tard tu fais l’Agbandji qu’on appelle la fête de la richesse. Il faut préciser qu’il ne s’agit pas d’une fête d’exhibition de la richesse comme on pourrait le penser. Mais au sens de la noblesse de la chose. Et dire que je peux apporter ma contribution à l’évolution du village et de la communauté. Après cela, nous avons la fête de la sagesse qui est l’ « Ebeb » synonyme de la retraite. Chacune de ces organisations à un rôle et c’est ce qui a fait que nous avons perduré dans le temps.
Ce festival vient à point nommé parce que d’autres points de la culture adjoukrou qui ne sont pas toujours récurrents ont commencé à disparaitre. Il s’agit entre autre de l’art culinaire. Tout ce qu’on connait de nous, c’est l’attiéké. Alors que nous avons 19 autres plats à base de manioc. La langue adjoukrou commence par ne plus être parlé par nos enfants.
Ce sont autant d’éléments qui ont motivé la création de ce festival qui a certes pour but de promouvoir l’art culinaire et artistique du Leboutou, mais surtout d’enseigner aux jeunes générations ce qu’est le Leboutou. Nous sommes en terme de nombre un petit peuple et si nous ne faisons rien, on nous comptera comme un peuple en voie de disparition. Il faut que les jeunes apprennent à nos côtés ce que sait que le Leboutou.
Au niveau linguistique, à quelle langue s’apparente l’Adjoukrou ?
Avec les krou, nous avons quelques mots qui se ressemblent comme « Ayoka ». On nous dit qu’on est issu des Krou, mais nous avons résidé longtemps avec les Akan au point où nous avons adopté certaines de leurs pratiques culturelles. Nous avons une organisation matriarcale contrairement au Krou.
Le professeur Harriste Memel Fotê dans ses recherches affirme que nos origines sont d’Ethiopie. Le premier ministre éthiopien s’appelle Meless qui est un nom adjoukrou. Pendant le « Yaye », il y aura une session scientifique pendant lequel nos frères chercheurs qui ont travaillé sur le sujet vont venir apporter des éclairages sur les origines des Adioukrou. Nous avons même en projet de faire une Fondation qui va conserver les instruments traditionnels et perpétrer les connaissances sur le peuple Adioukrou qui commencent à se perdre.
Toujours dans le cadre de l’organisation du peuple Adioukrou, combien de classe d’âge distingue-t-on et comment se fait la passation de pouvoir ?
Nous avons sept (7) classes d’âge et à l’intérieur de chaque classe nous avons trois ou quatre sous-classes, c’est selon. Parce que nous avons deux confédérations.
La confédération de « Bogorou » et celle de « Débrimou ». Selon que vous êtes d’une des confédérations, vous faites 3 ou 4 sous générations. A la fin tout se rattrape. Ceux qui sont en trois sautent toujours pour rattraper ceux qui sont en 4. La femme ne fait pas le Lô mais elle rentre directement dans une génération lorsqu’elle fait son « Dediakp ». Bien sûr elle ne fait pas les autres fêtes mais elle accompagne son époux. Elle fait l’Ebeb.
Entre les générations 1 et 7, il y a au total 52 ans. C’est dire que lorsque vous avez fait votre fête de génération à l’âge de 20 ans, ce sera 52 ans plus tard que vous allez refaire votre fête. A l’âge de 72 ans. C’est une grâce puisque vous allez voir vos successeurs. C’est ce qui fait qu’à chaque fois qu’une génération vient au pouvoir, 8 ans après une autre génération lui succèdent. C’est automatique et au bout de 8 ans vous passer le relais.
La gestion de la cité moderne fait qu’aujourd’hui nous dissocions les éléments en créant les comités de gestion dans les villages. Cela ne s’articule pas souvent avec nos traditions. Ce qui fait qu’il y a toujours des conflits avec les tenants du pouvoir traditionnel.
Il faut que nous arrivions à mieux intégrer ces outils modernes de gestion à nos traditions pour éviter les crises. Chez nous du respect du droit d’ainesse et des anciens découlent beaucoup de choses. Chez nous tu ne peux pas manquer de respect aux anciens. Cela n’a jamais existé. Cette façon de s’organiser fait que chacun vient en son temps au pouvoir. Certains sont affectés au nettoyage du village. Il y a des gendarmes du village, et d’autres sont fait pour gérer le village à un moment donné. Il y en a qui sont fait pour légiférer. Ce sont tous ces aspects de notre communauté que nous allons présenter pendant ce festival.
Fasse à la dégradation des mœurs dans nos villages, est ce que vous prévoyez mener des campagnes de sensibilisations ?
Nous aurons au cours de ce festival des sessions de sensibilisation parce que souvent les jeunes pêchent par ignorance. Ils sont dans une autre culture où on est libre de parler et de dire ce qu’on veut. Il ne faut pas leur en vouloir. Il ne faut pas leur enlever cette liberté. En même temps, il faut leur inculquer que cette liberté doit incarner nos traditions qu’on ne doit pas désavouer. Pour cela, il faut leur faire comprendre nos traditions. Nous même les Obodjlou menons une action à travers ce festival pour régler la désarticulation qu’il y a aujourd’hui. Tout à l’heure je vous ai dit que les Obodjlou ce sont les gens qui viennent au pouvoir. Aujourd’hui ce sont les Nigbessi mais il se trouver que l’année prochaine il y a des Bodjl.
Aujourd’hui nous avons les Nigbessi qui sont au pouvoir en dessous, il y a les Bodjl. Pour être Ebebou, il faut avoir fait Agbandji. Il y a certains villages qui n’ont pas encore fait la fête d’Ebebou. Donc ils ne sont pas Ebebou bien que leur génération soit Ebebou. Il se trouve qu’en 2018, les Bodjl seront Ebebou. Nous tous, on sera du coup Ebebou. Même si notre fête se fera en 2021. Ce qui veut dire qu’il y aura une coexistence. C’est cette désarticulation que nous voulons régler. De telle sorte qu’à un moment donné lorsqu’une génération arrive au pouvoir, 8 ans après, la génération suivante prenne la relève.
Pourquoi le choix du mois d'août pour l’organisation de la première édition ?
Cette année nous avons misé sur la jeunesse parce qu’ils sont en vacances. L’année prochaine, nous allons trouver une date qui rassemble la masse et en même temps nos autorités pour qu’elles prennent part au festival.
Comment entendez-vous pérenniser ce festival ?
Nous allons au cours de cette première édition prendre la résolution de pouvoir organiser annuellement ce festival. De sorte que cela puisse être ancré dans les habitudes de l’Adjoukrou que chaque année à telle période il y a un festival qui est organisé en son honneur. Cette année, c’est focus sur la région mais les années prochaines nous allons faire une ouverture. Parce que nous avons tellement de richesse à présenter. Nous ne nous limitons pas seulement à la l’aspect culturel.
Sachez également que Dabou est une région économique très forte. C’est l’une des premières zones industrielles à l’intérieur du pays. Nous avons eu le Fort Faidherbe et un autre comptoir.
En dehors de l’aspect culturel et culinaire, il y a tout l’aspect développement, touristique, économique qui nous intéresse. On a donc de la matière à pérenniser ce festival. Etant chef-lieu de région, pour l’édition future nous entendons faire un clin d’œil à nos voisins de Grand Lahou et de Jacqueville pour qu’ensemble on puisse faire quelque jour de plus régional.
Est-ce que par le soin de l'Union de la génération Obodjlou on peut s’attendre à une réhabilitation du Fort Faidherbe ?
Nous avons fait la requête. Le bureau qui va être mis en place va travailler à la réhabilitation de ce Fort et comptoir situé à Toupah. Pour ce faire nous avons écrit à l’Unesco, au Ministère de la Culture et de la Francophonie. Ces deux sites ont besoin d’être réhabiliter et nous pourrons en faire des musées des arts et culture Adjoukrou et surtout un lieu de la conservation de nos us et coutume.
Entretien réalisé par
REMI COULIBALY & CHEICKNA D. SALIF