Affaire logo du Pdci-Rda; transparence des élections locales: Et si on disait la vérité aux Ivoiriens

Ce n'est pas la Cei centrale qui proclame les résultats des élections locales.
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Affaire logo du Pdci-Rda; transparence des élections locales: Et si on disait la vérité aux Ivoiriens

Dans quelques jours, les Ivoiriens connaîtront les noms des hommes et des femmes qui présideront aux destinées de leur commune et de leur conseil régional. La fièvre est montée dans les circonscriptions et au niveau national avec  des contre-vérités, trop de contre-vérités qui se disent et s’écrivent.

Pour éviter que les amalgames et surtout les contrevérités ne triomphent sur la vérité, pour permettre à chacune et à chacun d’être mieux informé, nous avons choisi de faire la lumière sur deux questions qui suscitent des débats passionnés : l’affaire de l’utilisation du logo du Pdci-Rda et la transparence des élections municipales et régionales, relativement à la composition de la Commission électorale indépendante.

L’affaire du logo du Pdci-Rda

Au cours d’une conférence de presse, M. Maurice Kacou Guikahué, ci-devant Secrétaire Exécutif du Pdci-Rda, a livré aux médias sa version de ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire de l’utilisation du logo du Pdci-Rda par le Rhdp. Nous vous la proposons textuellement. Sans ajout, sans déformation. Telle que l’a recueillie  la web-Tv, DnewsTV. : «On a fait une requête à la Cei. Elle dit qu’elle n’est pas compétente parce que quand elle prend les dossiers, elle voit l’éligibilité. On dit d’accord.

On a envoyé les dossiers à la Cour suprême. Et la Chambre administrative a sorti l’argument suivant : Que le Pdci a signé la charte d’adhésion au Rhdp. On entend le Pdci dire qu’il n’est plus dedans, mais il n’y a pas de preuves matérielles. Donc, ils nous ont déboutés.

Et Dieu merci, le 24 on a fait notre BP. Et on a pris une résolution du retrait du Pdci au Rhdp. On a saisi le juge des référés. On a donné la résolution signée du président dans les formes légales. On l’a donné au juge. On a donné tout. Et donc voici la décision : On dit sur l’affaire du logo, le juge des référés dit que c’est une affaire de partis politiques, il se déclare incompétent. Alors que cette même justice avait donné raison pour suspendre. Donc vous-mêmes, tirez les conclusions.»

Sans faire injure à cet honorable et très haut responsable du Pdci-Rda, je pense qu’il importe d’analyser, une à une chacune des  trois saisines du Pdci-Rda, et de rétablir la vérité.

- La saisine de la Cei

C’est par un courrier du 5 septembre 2018 que le Pdci-Rda a saisi la Cei pour lui dire que l’usage de son logo est exclusivement réservé aux candidats parrainé par lui. Par conséquent, ce parti estime que son logo ne devrait figurer sur aucun autre logo, symbole ou emblème. Le 7 du même mois, la Cei répondait à cette demande  en affirmant qu’au stade actuel de l’examen des dossiers de candidature , elle n’a pas reçu de candidatures autres que celles parrainées par le Pdci-Rda et qui aient porté le logo officiel de ce parti tel qu’il lui a été remis, à savoir « Eléphant noir, de profil, sur fond blanc. »

A aucun moment la Cei n’a parlé de question d’éligibilité. Comme beaucoup d’Ivoiriens l’ont relevé, le logo que le Pdci-Rda a choisi pour ses candidats  aux élections municipales et régionales est bien différent de celui  présent sur le logo du Rhdp où on voit un éléphant de face, de couleur blanche, sur un fond vert porté sur la carte de la Côte d’Ivoire, avec les logos des membres du Rhdp. Il s’ensuit que la Cei ne pouvait pas répondre favorablement à la requête du Pdci- Rda.

- la saisine de la chambre administrative de la Cour suprême

Contrairement à ce que M. Guikahué a tenté de faire croire aux journalistes, la chambre administrative n’a pas parlé «de charte d’adhésion au Rhdp» encore moins de «preuves matérielles». L’arrêt que cette juridiction a rendu est disponible sur son site et chacun peut le lire. Nous en proposons les principaux points. Il est clair,  net et précis. Le juge administratif n’a parlé que de contentieux portant sur l’éligibilité des candidats. Elle n’a fait aucune référence à la politique.

« Considérant que, par la présente requête, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire­ - Rassemblement démocratique africain (Pdci-Rda) a saisi la Chambre administrative de la Cour suprême aux fins d'ordonner à la Cei de retirer le logo et tout symbole du Pdci-Rda, du logo utilisé par les candidats du Rhdp et de leur interdire l'usage du logo et symbole du Pdci-Rda;

Sur la compétence de la Chambre administrative

Considérant qu'aux termes des articles 121, 128, 150 et 151 du Code électoral, la Chambre administrative ne peut être saisie dans le cadre, du contentieux de l'éligibilité, que du rejet d'une candidature ou de la contestation d'une inscription sur les listes de candidatures;

Que la demande du PDCI-RDA tendant à ordonner à la Cei de retirer le logo et les symboles du Pdci-Rda de la liste des candidatures parrainées par le Rhdp, ne rentre pas dans les attributions de la Chambre administrative, en tant que juge de l'éligibilité des candidatures aux élections municipales et régionales;

Que, dès lors, elle est incompétente pour connaître de cette requête;

Décide

Article 1er : la Chambre administrative est incompétente pour connaître de la requête n° 2018-014 bis CE du 14 septembre 2018 du Parti démocratique de Côte d'Ivoire - Rassemblement démocratique africain (Pdci-Rda);

Article 2 : les frais de l'instance sont mis à la charge du Trésor public;

Article 3 : une expédition du présent arrêt sera transmise au Procureur général près la Cour suprême et au président de la Commission électorale indépendante; »

En français facile, cela veut dire qu’au moment où elle ne peut être saisie que pour connaître du contentieux de l’éligibilité, elle n’est pas compétente pour statuer sur un sujet qui ne relève pas de l’éligibilité.

Où est-il écrit : « Que le Pdci a signé la charte d’adhésion au Rhdp. On entend le Pdci dire qu’il n’est plus dedans, mais il n’y a pas de preuves matérielles » ?

- la saisine du juge des référés.

Selon le secrétaire exécutif du Pdci-Rda, le juge des référés s’est déclaré incompétent parce qu’il s’agissait d’un litige opposant deux partis politiques. Contrevérité manifeste. Car à la vérité, le juge des référés qui connaît les dispositions pertinentes de l’article 5 du code de procédure civile, commerciale et administrative ne s’est appuyé que sur elles pour se déclarer incompétent. Cet article stipule en effet que « les tribunaux de première instance et leur section détachées connaissent de toutes les affaires civiles, commerciales, administratives et fiscales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée expressément à une autre juridiction en raison de la nature de l’affaire.»

Il en découle donc que le juge des référés qui n’a pas de compétence d’attribution en matière électorale pour les élections politiques, générales ou locales,  ne pouvait pas connaître de ce litige. Il est incompétent pour le faire. En effet, en Côte d’Ivoire, le contentieux des élections locales, municipales et régionales est dévolu à la chambre administrative de la Cour suprême. A elle et à elle seule.

La transparence des élections

Sur la question de la transparence , le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly , lors de la conférence de presse qu’il a animée  le 17 septembre dernier a été on ne peut plus clair , en distinguant bien l’élection présidentielle pour laquelle  il revient  à la Cei centrale de proclamer les résultats provisoires et les élections locales pour lesquelles elle ne fait que recueillir les résultats préalablement proclamés sur place par les commissions locales.

Sur ce sujet, la brillante analyse faite lundi dans Fraternité Matin par notre collègue Benoit Hili, notamment la partie sur les Cei locales qui sont les maîtres du jeu électoral aux municipales et régionales, vaut la peine d’être reproduite ici, la répétition ayant une indéniable vertu pédagogique: « Pour les élections locales, les Cei locales sont les postes de contrôle des opérations. Véritables maîtres du jeu, ce sont elles qui proclament les résultats du vote. La Commission centrale est un mirador réduit au rôle de supervision générale. Autonome, la Cei locale consacre l’équilibre des sensibilités et garantit la transparence des opérations électorales, à travers sa composition et son fonctionnement. Sur ses 9 membres, quatre sont issus du groupement politique au pouvoir, quatre autres membres sont issus de l’opposition et un membre représente l’administration. Celui-ci est parfois le représentant du sous-préfet ou du préfet. Le président de la Cei locale joue le même rôle que le président d’un jury de Cours d’Assises. Il est élu parmi ses pairs. Lorsqu’il est issu de l’opposition, son vice-président est désigné parmi les membres du groupement au pouvoir. Et inversement. Lorsque le président et le vice-président sont issus de chapelles politiques, le poste de secrétaire de bureau de la Cei locale échoit au représentant de l’administration. De la sorte, chaque entité occupe un poste. Si beaucoup d’indépendants l’on emporté aux différents scrutins, c’est aussi grâce à ce dispositif anti-fraude. Dans cette configuration, on peut dire que l’opposition part théoriquement favorisée aux élections locales du 13 octobre, en termes de représentativité. En effet, la décision prise par le Pdci-Rda le 24 septembre dernier, de quitter définitivement le groupement politique au pouvoir (le Rhdp), n’influencera pas la composition des Cei locales. La Commission électorale n’ayant pas été saisie d’une telle décision, le Pdci-Rda prendra sa place parmi les quatre sièges réservés au Rhdp dans ces Cei locales. Les représentants du Pdci-Rda, dans ces conditions, seront, on le devine, plus regardants vis-à-vis de leurs ex-alliés du Rhdp. Les yeux des représentants du vieux parti amplifieront, a priori, le regard de l’opposition dans chaque bureau de vote. »

Comme on le voit, le débat actuel sur la réforme de la Cei voulue,  aujourd’hui, par le Pdci-Rda, et bien avant lui par certains partis politiques de l’opposition, n’a pas d’objet ni d’intérêt.

Et cela, sans compter que la Cei a été publiquement félicitée tant par les candidats aux élections législatives et sénatoriales passées que par la communauté nationale et internationale. Au point que la Cei qui est souvent citée en exemple par  des organisations internationales, est sollicitée par de nombreux pays africains pour son savoir-faire et son expertise avérés.

Amédée ASSI


Et pourtant il y a des précédents

« L’histoire est un témoignage. La vérité, elle est belle quand elle est nue », disait le Président Félix Houphouët-Boigny. Cette belle phrase du père-fondateur, les Ivoiriens et plus particulièrement les Houphouétistes, ou du moins ceux qui se réclament du Président Houphouët devraient l’avoir constamment à l’esprit.

Bien dommage donc qu’aujourd’hui, certaines personnes, pour des raisons politiciennes, aient la mémoire courte. Et choisissent de nier le passé ou d’avoir une mémoire bien sélective.

C’est sous nos yeux qu’en  octobre 2013, dix-huit militants proches   d’Alphonse Djédjé Mady, de Kouassi Yao et Kouadio Konan Bertin dit Kkb, qui briguaient la présidence du  Pdci-Rda, avaient assigné les dirigeants de leur parti en justice  pour obtenir la suspension du 12ème  congrès qui devait se tenir.

Au cours d’une conférence de presse, les avocats du Pdci-Rda avaient même expliqué comment l’assignation avait été jugée irrecevable par le juge.

Ce jour-là, ironie de l’histoire sans doute, le ministre Kobenan Adjoumani, porte-parole du 12e  congrès et vice-président du comité d’organisation, avait déclaré : «  Tout est fin prêt pour accueillir nos invités qui ont commencé à venir de l’étranger»…

Ce n’est donc pas la première fois que des militants du Pdci-Rda saisissent la justice pour faire valoir leurs droits.

Relativement à la question de l’utilisation du logo du Pdci-Rda, on feint de faire croire que c’est la première fois que la justice est amenée à se prononcer. Pourtant, quand la chambre administrative affirme qu’elle n’est pas compétente pour statuer sur un sujet qui ne relève pas de l’éligibilité, il  s’agit  bien d’une jurisprudence constante de cette  juridiction en la matière.

D’ailleurs, dans la décision rendue par la Chambre administrative, elle vise bien un arrêt  qu’elle a rendu le 25 mars 2013 (arrêt n° 49, Etien Bosson Raymond contre Cei) relatif au contentieux de l’éligibilité des élections municipales de 2013. Dans cette affaire, Etien Bosson Raymond avait saisi la Chambre administrative pour dénoncer la confusion qui pourrait être créée entre la liste de candidature Pdci-Rda qu'il dirige et la liste de candidature Rdr dirigée par le candidat Youssouf Traoré qui a utilisé le symbole Eléphant noir, couleur blanche du Pdci-Rda et lui demandait de trouver la solution idoine à cette situation.

Le juge administratif  avait notamment relevé que « les contestations portées devant la Chambre administrative avant les élections ne peuvent relever que du contentieux de l’éligibilité. » Ici, on était en 2013, et le Pdci-Rda et le Rdr, au moment où s’achevaient les travaux du 3ème  pont, le pont Henri Konan Bédié, filaient le parfait amour… Et personne ne pouvait s’imaginer, à moins d’être le fils du Père créateur, que cinq années plus tard, ils allaient « couper igname », ou « partager le sac de fonio » !

Plus loin de nous, en France, qui ne se souvient pas de la longue histoire de conflits père-fille chez les Le Pen ? Par exemple, pour la seule année 2015, à trois reprises, le très procédurier Jean-Marie Le Pen s'en est remis à la justice pour obtenir la suspension de l'assemblée générale extraordinaire du Front national ( Fn), voulue par Marine Le Pen pour réformer les statuts et, accessoirement, supprimer le poste de président d'honneur occupé par son père.

A 87 ans, le président d'honneur du Fn avait été banni  du parti qu'il a cofondé en 1972. La plus haute autorité du Front national, réunie en formation disciplinaire au siège du parti, avait  retenu contre Jean-Marie Le Pen quinze griefs.

Tenter de faire croire que la justice n’est jamais intervenue dans le fonctionnement et la vie des partis politiques qui, on l’oublie trop souvent, ne sont que des associations privées, est donc inacceptable. Est aussi inadmissible, le fait de vouer la justice aux gémonies, alors que ce sont les militants des partis politiques qui ont recours aux juges et non eux- mêmes qui s’autosaisissent.

A. ASSI