Tentative de retrait de l’organisation de la Can 2021 à la Côte d’Ivoire: Les dessous d’une décision controversée
Ahmad était catégorique. « A l'heure où je vous parle, la Côte d'Ivoire n'a quasiment pas avancé. Il y a eu une première mission d'inspection sur place qui a confirmé la situation. Il y a des stades à construire ou à rénover, des terrains d'entraînement, au moins dix-huit, mais aujourd'hui, où en est-on vraiment ? Même chose pour l'hôtellerie. Le cahier des charges est formel : il faut un nombre de chambres suffisant pour accueillir les équipes, les officiels, les partenaires économiques, etc., dans des hôtels quatre ou cinq étoiles. Je ne veux pas que l'on reçoive les joueurs dans de mauvaises conditions, qu'il s'agisse des infrastructures sportives, hôtelières ou autres », a dit le président de la Caf dans les colonnes du magazine Jeune Afrique.
Une décision prise pour faire plaisir au Cameroun et à son Président, Paul Biya. « Pour faire les choses de manière plus humaine, décalons toutes les Can et donnons plus de chances et plus de temps au Cameroun pour qu’il réalise les infrastructures. (…) Nous avons pris cette décision de décaler le Cameroun en 2021 et la Côte d’Ivoire en 2023. La Côte d’Ivoire non plus ne sera pas prête pour la Coupe d’Afrique 2021, au vu de l’évolution des travaux », soutient Ahmad.
Déshabiller Pierre pour habiller Paul
Ce qui fâche dans cette affaire, c’est lorsqu’on voit la hargne avec laquelle le président Ahmad veut déshabiller la Côte d’Ivoire pour habiller le Cameroun, fautif. Qu’est-ce qui a bien pu se passer entre le Président Biya et le successeur d’Issa Hayatou lors de leur dernière rencontre, en octobre, au Cameroun, pour que ce dernier se plie en quatre pour lui faire plaisir ?
En effet, Ahmad ne s’en cache pas : « Quand j'ai rencontré Paul Biya à Yaoundé, début octobre, j'ai compris qu'il tenait à ce que la Can ait lieu au Cameroun », confiait-il. Parlant de sa rencontre avec le Chef de l’Etat camerounais, au plus fort de la pression exercée sur son pays.
Dans tous les cas, cette décision suscite une énorme polémique puisque la Côte d’Ivoire a bien l’intention d’organiser la Can chez elle, en 2021 et l’on peut imaginer qu’il en sera de même pour la Guinée, censée accueillir la compétition en 2023.
Tous dans le brouillard
Le hic, c’est que Cameroun n'a pas encore indiqué s'il allait attaquer devant le Tribunal arbitral du sport (Tas) cette décision, mais pour prouver qu'il était bien en mesure d'organiser la Can en juin 2019, il entend terminer dans les temps, en février prochain, les stades prévus pour la Can.
Au cas où l’un des pays saisissait le tribunal arbitral du sport, ce serait catastrophique pour le sport africain. D’ailleurs Ahmad en est conscient. « Moi je pense que notre faute, nous la CAF, c'est d'avoir donné 2021 (au Cameroun). Cela va être une faute qui va être ciblée par le TAS parce qu'aucun règlement ne nous permet de vous attribuer cela », admet le dirigeant malgache.
Si le Cameroun accepte d'organiser la Can-2021, du coup, la Côte d'Ivoire deviendrait pays-hôte de l'édition 2023. Pendant ce temps, la Côte d’Ivoire n'a pas encore contacté ou approché officiellement par la Caf et la Guinée, censée organiser la Can 2023, son sort n'a même pas été mentionné par le président de la Caf.
Pour le ministre des Sports, Danho Paulin, cette décision est inimaginable. « D’abord, nous n’avons pas été formellement saisis en tant qu’État et, ensuite, l’argument qui est avancé tenterait de jeter l’opprobre sur la Côte d’Ivoire, sur notre capacité à être prêts en 2021. Nous voulons attirer l’attention des responsables de la Caf sur cette démarche qui manque de courtoisie, de sérénité et d’objectivité », a indiqué le ministre des Sports.
En effet, dans le cadre de l’organisation de cette 33e édition de la Can 2021, la Côte d’Ivoire a attribué tous les marchés nécessaires pour construire, à Korhogo, San Pedro, Bouaké, Yamoussoukro et Abidjan, les infrastructures sportives et les équipements d’hébergement et de restauration. « Nous avons attribué tous les marchés nécessaires et nous continuons, dans le cadre du programme de développement de la Côte d’Ivoire, à déployer l’ensemble des infrastructures nécessaires, notamment la voirie », a-t-il ajouté.
Le mépris vis-à-vis de la Côte d’Ivoire
Pour Danho Paulin, la Côte d’Ivoire est habituée à organiser de grands événements. Il en veut pour preuve les huitièmes Jeux de la Francophonie qui ont réuni plus de 3000 athlètes et encadreurs et autres visiteurs, en 2017. Dans la foulée, le pays a accueilli le sommet Ue-Ua.
C’était 83 Chefs d'État et de gouvernement et quelque 5000 participants des 55 pays d’Afrique et de 28 pays d’Europe. Même si ce n’est pas pareil avec la Coupe d’Afrique des nations, cela démontre la capacité d’accueil et aussi les capacités en matière de sécurité, sans oublier le volet communication qu’un tel événement impose. « Par conséquent, on ne peut pas se lever comme ça et dire que la Côte d’Ivoire ne sera pas prête. Nous n’apprécions pas qu’on puisse jeter l’opprobre sur la capacité technique et financière du pays à mobiliser des ressources. La Caf doit tenir compte des engagements qu’elle prend avec les États parce que nous avons des obligations de planification et de développement. Et en ce qui concerne la Côte d’Ivoire, nous avons mobilisé 200 milliards de FCfa. Les entreprises ont été désignées, les banques ont mis en place des lignes de financement et le travail a commencé. Il faut éviter de jeter le trouble dans la tête des opérateurs économiques », a dénoncé le ministre Danho Paulin qui réserve une suite à cette décision unilatérale, au cas où la Côte d’Ivoire serait saisie officiellement.
Mais Ahmad, face à cette réaction a réagi en ces termes, dans les colonnes de Jeune Afrique: « Le ministre ivoirien des Sports aurait peut-être dû expliquer où en est vraiment le pays dans l'avancée des travaux, avec des preuves et des arguments, avant de communiquer sur la volonté de la Caf de changer le calendrier ». Une arrogance déconcertante dont il fait preuve également lorsqu’il s’agit de la Fédération ivoirienne de football (Fif) qui, surprise, par la décision de la faitière continentale, s’était empressée de lui adresser un courrier de protestation.
Mais Ahmad n’a accordé aucune importance au courrier signé du président Sidy Diallo. « Ils feront ce qu'ils veulent. Nous assumerons. Mais de mon côté, je suis en contact avec le Président Ouattara. L'organisation d'une Can, c'est avant tout l'affaire de l'État. À Accra, j'avais invité des présidents de fédérations africaines à l'occasion de la Can féminine. Augustin Sidy Diallo, celui de la Fif, était là. Il s'est juste contenté de me saluer au petit déjeuner. J'aurais aimé qu'il vienne me parler du football en Côte d'Ivoire, de la Can ... », a indiqué le Malgache. M. Ahmad mandaté par les fédérations parle maintenant aux Chefs d’Etat et non aux « petits » présidents de fédération.
Pendant ce temps, le doute s’installe dans l’esprit des opérateurs économiques et des entreprises engagées sur les différents chantiers qui vont sûrement tourner au ralenti.
PAUL BAGNINI